Lettre à Science et vie junior au sujet du globish
Madame,
Votre intéressant article
sur Jean-Paul Nerrière appelle quelques observations.
1. Ce globish n'est pas une langue
réellement utilisable, comme on s'en rend vite compte si l'on essaie
de s'exprimer en pratique en n'utilisant que les 1500 mots prévus par
M. Nerrière, pour ne rien dire du fait que bien des mots recouvrent plusieurs
concepts sans que rien ne précise lequel est le bon: can (pouvoir,
boîte de conserve), case (cas, caisse, boîtier, arguments
en faveur de..., trousse), light (léger, lumière, allumer),
right (rectiligne, côté droit, correct, un droit), watch
(surveiller, montre), etc. Si l'on tient compte des différences de sens,
elle comprend en fait pas loin de 2000 mots. Par ailleurs, ce n'est pas vrai
qu'on peut traiter de tous les sujets de la vie courante avec cette liste restreinte.
Elle comprend, par exemple, decide, mais pas decision, administer
mais pas administrative ou administration. Comme elle n'offre
aucun moyen de dériver un mot d'un autre, celui qui a appris beautiful
ne peut parler de "beauté" (beauty n'y figure
pas), et on a beau connaître aggression, on ne peut former une
phrase avec "agressif" ou "agresser" sans circonlocution
compliquée. Dans bien d'autres cas, il n'existe aucun moyen de formuler
sa pensée même par une voie détournée, par exemple
pour exprimer l'idée: "Garçon, je voudrais une salade de
tomates". Il ne faut pas avoir honte de communiquer par gestes, dit M.
Nerrière. Je demande à voir, me rappelant la mésaventure
de cet Américain qui, pour se faire servir un verre de lait, avait mimé
la traite d'une vache. Après une attente interminable, il avait reçu
un steak dur comme de la semelle.
2. Par ailleurs, contrairement
à ce que vous dites, l'espéranto n'a rien d'une langue "entièrement
artificielle". L'espéranto d'aujourd'hui est l'aboutissement naturel
de plus d'un siècle d'interactions entre personnes de langues différentes
ayant adopté le projet proposé par Zamenhof, qui, comme le globish,
représentait une codification d'un matériel linguistique existant.
L'usage a comblé les lacunes et transformé le projet en une langue
vivante, pleine de suc, riche et agréable à manier. (Je sais bien
l'anglais, mais voyageant dans le monde entier pour des raisons professionnelles,
j'ai été bien content d'avoir partout, grâce à l'espéranto,
des contacts sans problème de langue avec des gens du cru. Vous n'imaginez
pas le nombre de situations où cela m'a rendu service).
Pour rendre les notions qu'expriment
les 1500 mots du globish, il suffit de 1300 mots d'espéranto, plus une
quarantaine de suffixes et préfixes, qui permettent de former sans difficulté
quelque 13.000 mots (on estime à 8000 le nombre de mots nécessaires
à la vie quotidienne). La régularité de l'espéranto
représente pour l'élève une énorme économie
par rapport au globish. Considérez les couples suivants create/creation
= krei/kreo ; ask/question = demandi/demando
; live/life = vivi/vivo ; remember/memory =
memori/memoro ;inform/information = informi/informo
; think/thought = pensi/penso. En globish il faut mémoriser
chaque fois deux mots, en espéranto une racine et le sens de l'alternance
i/o. Et il suffit d'apprendre que la terminaison -a forme
l'adjectif pour ajouter à son vocabulaire, sans effort, toutes sortes
de mots qu'ignore le globish: informa "informatif", viva
"vivant", demanda "interrogatif", memora
"mnésique", pensa "relatif à la pensée".
Pas étonnant, dès lors, qu'on ait plus d'aisance en espéranto
au bout de six mois qu'en anglais au bout de six ans. La comparaison est d'autant
plus défavorable au globish qu'il reprend toutes les aberrations de la
langue de Shakespeare, dont, pour n'en citer que deux, l'incroyable décalage
entre orthographe et prononciation (ou se prononce différemment
dans touch, through, though et thought !)
ou les structures différentes des phrases négatives: pourquoi
I do not know mais non I do not be, alors que la quasi-totalité
des langues du monde ont une seule structure pour tous les cas?
Je ne vais pas vous faire perdre
plus de temps, mais si vous voulez que je vous fournisse les éléments
d'information nécessaires à un article comparant le globish et
l'espéranto, je le ferai bien volontiers. Après tout, le mot Science
figure dans le titre de votre revue. Qui dit "science" dit "objectivité"
et qui dit "objectivité" dit "comparaison". D'autre
part, votre publication s'adresse aux jeunes et les jeunes sont très
intéressés par l'espéranto dès qu'on leur explique
objectivement les faits. Bien sûr, il est possible que vous ayez raison
quand vous dites, "le globish [...] pourrait bien, lui, conquérir
l'humanité". Si c'est le cas, ce sera la preuve que l'humanité
est masochiste, ne s'intéresse pas à sa qualité de vie
et prend ses décisions, non sur la base d'une recherche objective comparant
dans la pratique les diverses options pour choisir la meilleure, notamment du
point de vue du rapport efficacité/effort, mais en essayant d'aménager
maladroitement ce à quoi l'a menée la force d'inertie ou la pression
des puissants. Les jeunes ont le droit d'être informés objectivement
sur ce que donne une comparaison entre les diverses options, dont l'espéranto.
Comment choisir démocratiquement si l'on n'est pas informé? Un
tel article pourra contribuer à faciliter la victoire du meilleur système.
Personnellement, je suis optimiste. Avec sa croissance exponentielle, l'espéranto
s'approche tranquillement du moment où la masse critique fera basculer
l'opinion. Après tout, c'est le petit David qui a vaincu l'hyperpuissant
Goliath.
Je suis l'auteur de l'ouvrage Le
défi des langues (L'Harmattan, 2e éd. 2001) et du rapport
de recherche "Communication linguistique - Étude comparative faite
sur le terrain" (Language Problems & Language Planning, 2002, vol.
26, 1, 23-50). Mon étude "Choosing an official language" va
paraître incessamment dans le Handbook of Sociolinguistics du prof.
Ulrich Ammon. De nombreux articles de moi sur ces questions peuvent être
consultés, dans une vingtaine de langues, à l'adresse http://claudepiron.free.fr.
Vous pouvez donc me faire confiance: ce que je dirai si vous acceptez mon offre
sera du sérieux.
Bien cordialement, Claude
Piron, 22 rue de l'Étraz, CH-1196 Gland, Suisse
Estimata Sinjorino,
Via interesa artikolo pri JP Nerrière
elvokas kelkajn rimarkojn.
1. Tiu "globiŝa" ne estas
lingvo efektive uzebla, kiel oni tuj konstatas, se oni provas praktike esprimi
sin uzante nur la 1500 vortojn listigitajn de s-ro Nerrière. Ni eĉ preterlasu
la fakton, ke multaj vortoj esprimas plurajn konceptojn, ĉe kio mankas rimedo
scii, kiu estas la ĝusta: can (povi, ladskatolo), case (kazo,
kesto, ujo, argumentoj favore al), light (malpeza, lumo, ekbruligi),
right (rekta, dekstra, ghusta, rajto), watch (spekti, gardi,
brakhorlogho), ktp ; se enkalkuli la signifojn, la listo fakte enhavas proks.
2000 vortojn. Ĉiaokaze, ne estas vere, ke oni povas pritrakti ĉiujn temojn de
la ĉiutaga vivo per tiu mallonga vortlisto. Ĝi enhavas, ekzemple,decide,
sed ne decision, administer, sed ne administrative
aŭ administration. Ĉar ĝi proponas neniun derivan rimedon, lerni beautiful
ne helpas, se oni volas diri "beleco" (beauty ne troviĝas
en ĝi), kaj la fakto koni aggression ne helpas uzi en frazo la konceptojn
"agresi" aŭ "agresa" sen komplika ĉirkaŭparolo). En multaj
aliaj okazoj, ekzistas neniu rimedo vortigi la penson eĉ laŭ ĉirkaŭa vojo, ekzemple
por esprimi la ideon: "Kelnero, mi deziras tomatosalaton". Oni ne
hontu gesti, diras s-ro Nerrière. Min interesos vidi, kiel tio funkcios
praktike. Mi ja memoras, kio okazis al tiu juna usonano, kiu, dezirante glason
da lakto, geste imitis melkadon. Post longa atendo, li ricevis malmolan tranĉon
da bovinaĵo.
2. Male al tio, kion vi diras,
Eo ne estas lingvo "komplete artefarita". La hodiaŭa Eo estas la natura
frukto de pli ol jarcento da interagado inter malsamlingvanoj, kiuj alprenis
la projekton proponitan de Zamenhof ; tiu lingvoembrio, kiel la "globiŝa",
estis ordoaranĝo de jam ekzistanta lingva materialo. Uzado korektis la mankojn
kaj transformis la projekton en vivan lingvon, sukplenan, riĉan, tre plaĉan
al la parolanto. (Mi bone scipovas la anglan, sed tutmonde vojaĝante pro profesiaj
kialoj, mi ege kontentis havi ĉie kun lokanoj, dank'al Eo, kontaktojn, el kiuj
lingvaj problemoj tute forestis. Vi ne imagas, en kiom da situacioj tio estis
konkreta helpo).
Por esprimi la konceptojn, kiuj
respondas al la 1500 vortoj de la "globiŝa", 1300 Eo-vortoj sufiĉas,
plus kvardeko da sufiksoj kaj prefiksoj, kiuj ebligas facile formi proks. 13000
vortojn (oni taksas je 8000 la nombron da vortoj necesaj en la ĉiutaga vivo).
La reguleco de Eo prezentas por la lernanto grandegan ŝparon, kompare kun la
"globiŝa". Konsideru jenajn vortoparojn: create/creation
= krei/kreo ; ask/question = demandi/demando
; live/life = vivi/vivo ; remember/memory =
memori/memoro ;inform/information = informi/informo
; think/thought = pensi/penso. En la "globiŝa"
oni devas enmemorigi al si du vortojn ĉiufoje, en Eo nur unu radikon kaj la
signifon de la alterno i/o. Kaj sufiĉas lerni, ke la a-finaĵo
formas adjektivojn por senpene aldoni al sia vortostoko ĉiaspecajn vortojn,
kiuj mankas en la "globiŝa" listo, kiel informa, viva,
demanda, memora, pensa... Ne mirige, ĉu ne?, ke oni
sentas sin pli hejme en Eo post ses monatoj ol en la angla post ses jaroj. La
komparo estas des pli malfavora al la "globiŝa", ke ĝi transprenis
ĉiujn absurdaĵojn el la angla, inter kiuj, se citi nur du, la nekredeblan malakordon
inter skrib- kaj prononcmaniero (ou havas malsaman elparolon en touch,
through, though et thought!) au malsamajn strukturojn
por esprimi neadon: kial I do not know, sed ne I do not be,
dum preskaŭ ĉiuj lingvoj havas nur unu strukturon por ĉiuj tiaj kazoj?
Mi ne perdigu al vi pli da tempo,
sed se vi akceptos, ke mi havigu al vi la informojn necesajn por ellabori artikolon
komparantan la "globiŝan" kaj Eon, mi tion volonte faros. La vorto
"Scienco" ja troviĝas en la titolo de via revuo. Ne eblas scienco
sen objektiveco, kaj ne eblas objektiveco sen komparo. Krome, via eldonaĵo celas
la junularon, kaj gejunuloj tre interesiĝas pri Eo, se oni objektive klarigas
al ili la faktojn. Certe, eble vi pravas, kiam vi diras: "La globiŝa siaflanke
[kontraste kun Eo] povus konkeri la homaron". Se tion dirante vi pravis,
ni havos pruvon, ke la homaro estas masoĥista, ne interesiĝas pri la propra
vivkvalito kaj alprenas siajn decidojn, ne surbaze de objektiva esploro komparanta
en la praktiko la diversajn opciojn, cele al elekto de la plej bona, i.a. el
la vidpunkto de la rilato inter efiko kaj peno, sed provante mallerte ordigi
tion, al kio ĝin kondukis inerteco au premo potencula. La junularo rajtas esti
objektive informata pri la rezultoj de komparo inter la diversaj sistemoj, inter
kiuj Eo. Kiel demokratie elekti, se oni ne estas informita? Tia artikolo povus
kontribui faciligi la venkon de la plej bona sistemo. Persone, mi estas optimisma.
Kun sia eksponenciala kresko, Eo trankvile proksimiĝas al la momento, kiam kritika
maso renversos la nunan tendencon, kiu favoras la anglan. Pripensu: kiu finfine
venkis la potencegan Goljaton, se ne eta Davido?
Mi estas la autoro de la libro
Le défi des langues (Parizo: L'Harmattan, 2-a eld. 2001) kaj de
la esplorraporto "Lingva komunikado - Kompara studo farita surterene"
(Language Problems & Language Planning, vol. 26, 1, 23-50). Mia studo "Choosing
an official language" ["Elekti oficialan lingvon"] baldaŭ aperos
en la "Handbook of Sociolinguistics" [Manlibro pri Socilingvistiko]
de Prof. Ulrich Ammon. Multaj artikoloj miaj pri tiu temaro konsulteblas, en
dudeko da lingvoj, che http://claudepiron.free.fr.
Kiel indikas tiuj referencoj, vi povas fidi min: kion mi diros, se vi akceptos
mian proponon, tio estos serioza.
Sincere via,
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