Le défi des langues - Du gâchis au bon sens
(Paris : L’Harmattan, 1994 ; ISBN :
2-7384-2432-5)

C’est sur demande de l’un de ses correspondants qui,
faute de temps pour lire l’ouvrage "Le défi des langues -- Du gâchis au bon
sens", a demandé s’il pouvait lui en fournir des extraits en guise d’"apéritif",
que Claude Piron a bien voulu offrir ledit "apéritif" non seulement à ce
correspondant mais aussi à toutes celles et à tous ceux qui s’intéressent aux
questions linguistiques et qui se sentent concernés par ces problèmes.
SAT-Amikaro a très volontiers accepté d’offrir son espace pour cette "tournée
générale ! A votre santé ! I. LA COMMUNICATION LINGUISTIQUE
INTERNATIONALE : UNE GESTION PATHOLOGIQUE ?
Si un individu choisit sans raison un mode d’action
inutilement pénible, dépense une fortune pour acquérir ce qui est gratuitement à
sa disposition, refuse a priori de se renseigner sur les
moyens efficaces d’atteindre son but et fuit toute réflexion sur sa manière
d’agir, on dira familièrement que quelque chose ne tourne pas rond dans son
comportement. Si, de surcroît, sa préférence pour des efforts décourageants et
des processus compliqués débouche sur un résultat médiocre, alors qu’un voisin
obtient des résultats d’excellente qualité par une méthode simple et agréable,
facile à adopter d’emblée, on n’hésitera plus à parler de masochisme. Nous n’y
réfléchissons guère, mais l’organisation de la communication linguistique
internationale dans notre société est justiciable du même diagnostic. Elle est
pathologique.
Cette affirmation peut paraître outrecuidante. Elle
se fonde pourtant sur l’analyse des réalités. Le lecteur s’en rendra compte s’il
veut bien suivre le présent exposé. Toutes les indications lui seront fournies
pour qu’il puisse vérifier les faits par lui-même. (...) (Cette organisation
pathologique de la communication internationale présente, à l’échelle de la
société, tous les traits qui caractérisent une névrose à l’échelon individuel,
elle est désignée dans la suite de l’ouvrage sous le nom de «syndrome de
Babel»).
II. LE PROBLÈME
(Le chapitre II expose le problème. Il
commence par l’aborder sous l’angle qualitatif : handicap linguistique dans la
communication entre simples citoyens ; dans leurs rapports avec des autorités ou
instances officielles ; dans les groupes internationaux privés ; dans les
relations entre États. Il traite ensuite des aspects quantitatifs : coût de la
traduction et de l’interprétation, coût des services linguistiques
institutionnels, etc. Il conclut en comparant les montants très modestes qui
suffisent dans bien des cas à répondre à des besoins criants négligés «faute de
fonds» aux sommes astronomiques que les systèmes linguistiques en vigueur
coûtent à la société en général et en particulier aux grandes institutions
internationales.)
III. MYTHES ET RÉALITÉS
Nous l’avons vu, le problème se présente sous
diverses formes, selon les protagonistes et le cadre dans lequel le besoin de
communication apparaît :
— les intéressés n’arrivent pas à se dire ce
qu’ils voudraient se dire ; — le message passe, mais au prix d’une
quantité considérable de frustrations, d’énervements ou de souffrances ; — la communication est presque parfaite, mais cela a coûté un
investissement énorme en temps et en effort de la part de certains des
partenaires (la question d’un système plus rentable mérite d’être étudiée) ; — il y a injustice, les uns recevant le message parfaitement, les autres
mal ou très mal (situation fréquente dans les rencontres internationales, où les
personnes de langue anglaise, parfois française, jouissent d’un privilège
injustifié par rapport au commun des mortels ; situation fréquente également
dans les rapports entre une autorité locale et un ressortissant étranger :
travailleur migrant, réfugié, voyageur, placé par la situation même dans une
position d’infériorité) ; — le message reçu présente un décalage
suffisant par rapport au message émis pour qu’il y ait, en fait, tromperie ; — la transmission du message coûte un montant excessif, de sorte que
l’accumulation des situations de multilinguisme finit par détourner des sommes
fantastiques de ce qui serait leurs destinations normales dans une organisation
intelligente du monde (en d’autres termes, le rapport efficacité / coût atteint
souvent des proportions éthiquement inadmissibles). (...)
(Ce chapitre
traite de différents mythes auxquels adhère la société dans des domaines tels
que la traduction électronique ou l’enseignement scolaire des langues.)
IV.
PLUS DIFFICILE QU’ON NE LE DIT
(...) Comme nous venons de le voir, il y a une
résistance énorme à voir en face que les langues sont terriblement difficiles,
si difficiles que -- à une exception près, dont nous traiterons par la suite --
les étrangers n’arrivent pratiquement jamais au niveau des personnes dont
l’idiome étudié est la langue maternelle. Nous connaissons tous des gens qui
vivent en France depuis vingt ans et qui, malgré cette «immersion totale»,
(...) continuent à faire des fautes grossières. Cette profonde difficulté rend
vains les efforts désespérés déployés à la recherche de la méthode miracle.
Quand, au niveau ministériel ou dans quelque instance pédagogique, les enquêtes
sur le niveau en langues aboutissent à un constat d’échec, les intéressés
refusent de voir en face que, les langues étant ce qu’elles sont, il est
impossible d’aboutir à autre chose qu’à un échec. On incrimine les professeurs,
ou la méthode. On modifie ainsi l’enseignement, au gré des modes. On abandonne
la vieille méthode systématique avec mémorisation de vocabulaire et
apprentissage progressif de la grammaire pour se lancer dans la méthode directe.
Puis on passe à l’audiovisuel. Puis à l’enseignement programmé. Puis à
l’immersion totale. Puis à la suggestopédie. En général, les méthodes qui
conviennent à certains élèves ne conviennent pas à d’autres, si bien que le
changement de méthode a essentiellement pour effet de modifier le classement. Le
1% d’élèves qui, sans séjour linguistique, arrive à s’exprimer dans la langue
étrangère lorsqu’il se présente au bac restera toujours 1%. La seule différence
est que Paul, qui n’était à l’aise que dans le systématique, a cédé la place à
Jules, à qui la méthode directe convient mieux, parce qu’une série de hasards
veut que sa mémoire se soit structurée d’une autre manière. (...)
Conclusion : Le désir de communiquer simplement, en toute égalité,
par-dessus les barrières linguistiques, désir parfaitement légitime à une époque
où les relations internationales sont d’une densité sans précédent, ne peut être
satisfait par les méthodes qu’appliquent actuellement les États et l’ensemble de
la société.
V. TENTATIVES DE SOLUTION
Comme bien des maladies mentales,
le syndrome de Babel comporte un délire. Au lieu de percevoir la réalité, la
société se complaît dans l’imaginaire. Pour elle,
— il n’y a pas de
problème (les problèmes latents sont résolus grâce à l’anglais) ; — la
traduction et l’interprétation sont efficaces, ce qui justifie les milliards
qu’elles coûtent ; — si les États sacrifient à Babel des montants qui
pourraient sauver des vies, soulager d’innombrables souffrances, combattre
l’analphabétisme, créer des infrastructures bien nécessaires, et, aux périodes
voulues, relancer l’économie, bref avoir un impact social sur les plus
déshérités de la planète ou de la nation, leur politique n’a rien de criminel :
ils ne pourraient faire autrement ; — l’inconvénient qu’il y a à
permettre aux uns de manier l’outil linguistique à la perfection et de priver
les autres de cette possibilité, dans un échange entre personnes de langues
différentes, est négligeable ; — les langues étrangères enseignées dans
les écoles d’Occident peuvent être apprises ; — les langues ne sont pas
si difficiles que cela ; même en dehors de l’école, on peut arriver à un niveau
de maîtrise, il suffit de s’y mettre ; — l’enseignement des langues au
niveau secondaire donne accès à une culture étrangère. (...)
Pour ce
faire (pour reprendre le problème à la base), les consultants
que nous sommes doivent étudier toutes les formules utilisées en pratique, afin
de les comparer. Voyons donc comment les sociétés se débrouillent pour assurer
tant bien que mal une communication suffisante dans un monde séparé en unités
presque étanches par l’effarante difficulté de la quasi-totalité des langues
humaines.
(Ce chapitre passe en revue les diverses solutions : enseignement
des langues ; gestes et dessins ; systèmes de communication orale : recours à un
sabir, système suisse ou scandinave (chacun parle sa langue, tout le monde est
censé comprendre), emploi d’une seule langue (anglais p.ex.), interprétation
consécutive, interprétation simultanée ; traduction et autres formes écrites de
l’emploi de langues étrangères : pancartes et avis ; correspondance ; textes
scientifiques, techniques et juridiques ; modes d’emploi et publicité ;
traduction automatique...).
VI. LANGUE, SYSTÈME NERVEUX ET PSYCHISME
HUMAIN
Nous avons vu au chapitre précédent (...) que les divers systèmes
qu’appliquent les hommes d’origines différentes pour se comprendre les uns les
autres ne sont pas véritablement satisfaisants : ils fonctionnent mal, coûtent
les yeux de la tête ou promeuvent l’injustice ; en fait, la plupart cumulent ces
trois caractéristiques. Or, comme nous le verrons à partir du chapitre VII,
il n’est pas vrai qu’une organisation efficace de la communication linguistique
relève du casse-tête. Les faits prouvent qu’elle est, en réalité, aisée. (...)
Mais pour y aboutir, il faut commencer par vaincre une énorme résistance
psychologique. Le lecteur découvrira au chapitre VIII que l’étude
sociopsychologique des opinions relatives à la communication inter-peuples et
des réactions affectives au concept «langue» permet de mettre en évidence,
surtout au sein de l’intelligentsia occidentale, une sérieuse répugnance à
regarder la réalité en face et à prendre le taureau par les cornes. Nous verrons
dans ce même chapitre quelles en sont les racines psychologiques, dans les
profondeurs de l’inconscient, et sur quels mécanismes mentaux elle s’appuie.
Tout se complique du fait que la résistance psychologique
individuelle s’associe à une résistance d’ordre social,
elle aussi largement inconsciente, au service d’intérêts
collectifs. Les avantages que les Anglo-Saxons retirent de la situation
actuelle sont loin d’être négligeables. L’enseignement
de l’anglais rapporte à lui seul des revenus fantastiques.
«English language teaching is very big business»,
«L’enseignement de l’anglais est une source d’affaires très
importante», avoue un communiqué de presse du Salon
de l’Anglais (1). Dans le Tiers Monde, la toute
petite frange de la population qui sait l’anglais ou le français
détient de ce fait le pouvoir. Pourquoi y renoncerait-elle
en faveur du gros de la population ?
Les victimes du
mauvais «ordre linguistique mondial» sont nombreuses, mais tout est fait pour
qu’elles ne perçoivent pas la situation dans laquelle elles sont plongées. Il
faut dire que le handicap linguistique a beau être très fréquent, il n’est
jamais nommé, car la notion n’existe tout simplement pas. Ce qui n’est pas nommé
demeure inconscient. De ce fait, la perception globale du problème est rare et
la société n’a aucune compassion pour les handicapés linguistiques : les
victimes sont traitées en coupables. Si elles connaissent détresse, tourment,
souffrance, injustice, ridicule ou frustration, c’est de leur faute, elles
n’avaient qu’à apprendre les langues. (...)
(La première
partie de ce chapitre est consacrée à l’étude
de la tendance la plus puissante du cerveau humain cherchant à
s’exprimer : celle que Piaget a appelée assimilation
généralisatrice (un élément repéré
comme signifiant est généralisé à l’ensemble
de l’expression) L’enfant généralise le cas de plus
grand, plus fort, plus beau à tous les adjectifs (plus
bon), de la terminaison ez à tous les verbes
(vous faisez, vous disez). Un étranger, après trente
ans d’immersion en milieu francophone, généralise
encore le cas de en automne, en Irlande, en Australie à
tous les mots qui, phonétiquement, commencent par une voyelle
: en-n-aut (en haut), en Nollande, etc. L’étude
du langage de l’enfant, des fautes des étrangers, des hésitations
dans la langue maternelle, de l’influence de l’alcool, de médicaments
ou d’une forte émotion sur l’expression révèle
la force de cette tendance, que contrecarre la majorité des
langues.)
(La deuxième
partie du chapitre traite des aspects relationnels de la communication)
Prenons l’exemple d’une négociation
entre un Américain et un Finlandais. De nos jours, elle se
fera en anglais. Une négociation, c’est comme un match de
ping-pong. La balle passe constamment d’un camp à l’autre.
Imaginez donc un match de ping-pong où l’un des joueurs utilise
la raquette dont il se sert tous les jours (...), alors que l’autre
se voit refiler une raquette bizarre, déséquilibrée,
trop lourde, trop grande pour qu’il l’ait bien en main. Dans le
monde de la compétition sportive, cette disparité
ferait scandale. Mais il faut croire que les idées valent
beaucoup moins qu’une balle, car elle se manifeste tous les jours
dans le monde de la compétition économique ou politique
sans que personne n’y trouve à redire. N’est-elle pas profondément
triste, cette phrase d’une Indienne Hopi constatant qu’en autorisant
une exploitation de charbon dans sa réserve, sa tribu avait
détruit l’harmonie écologique du lieu - «Si,
il y a vingt ans, nous avions mieux su l’anglais, nous n’aurions
pas signé ce contrat». (2)
Une des meilleures façons de jouir du fait qu’on a le
pouvoir consiste à obliger le plus faible à faire quelque chose d’absurde,
d’arbitraire, qu’il ne fait que parce qu’on le lui ordonne et que le rapport de
force exclut toute possibilité de s’y soustraire. Si un maître oblige son
esclave à ramper jusqu’à lui et à lui lécher les pieds, c’est une manière de
proclamer à l’esclave et à l’assistance : «Regardez comme je suis puissant !»
(...) Les contraintes arbitraires sont monnaie courante dans certains milieux.
Elles permettent aux anciens de jouir de leur supériorité à l’égard des bleus.
Des brimades se pratiquent ainsi dans certaines armées, dans certains milieux de
travail, dans certains internats.
Cela, tout le monde le sait. Mais on ne se
rend généralement pas compte que lorsqu’on parle la langue d’une puissance
étrangère on se réduit à l’état d’esclave qui rampe pour aller lécher les pieds
de son maître. Vers 1880, la langue internationale était le français. Qu’est-ce
que nous avons imposé comme caprices absurdes aux Russes, Hongrois et autres
Autrichiens que la situation acculait à apprendre notre langue ! Considérons
l’incohérence de notre dérivation lexicale. Le même suffixe logie donne lieu à trois formes différentes dans psychologie > psychologue, biologie > biologiste, théologie
> théologien. De quel droit imposons-nous aux étrangers des contraintes
aussi arbitraires ? Ils ne peuvent se fier ni à leur logique, ni à la
rationalité qu’ils imputent à notre peuple, ni à leur mouvement naturel, qui les
porte à fonctionner suivant le système de l’assimilation généralisatrice. Ils
doivent se livrer à des acrobaties aberrantes parce que «telle est la loi» de
la langue française. Quand, incapables de s’y retrouver dans nos incohérences,
ils disent psychologiste, théologue ou biologien, ils nous écorchent les oreilles. Quelque chose grince
en nous, qui nous fait mal. La relation est ainsi faussée, notre interlocuteur
devient inférieur, nous devenons supérieurs, et nous sommes tous mal à l’aise.
(...)
(...) Les temps ont changé, les hauts lieux du pouvoir politique,
économique et culturel se sont déplacés. Aujourd’hui, c’est aux caprices de
l’anglais que le monde croit devoir se soumettre. (...)
Le syndrome de Babel
crée en nous tant de confusions que nous perdons de vue l’objectif que nous
poursuivons. Si je m’exprime en anglais, quel est mon but et celui de mon
partenaire ? Communiquer ; que nous nous comprenions. Or, pour exprimer une idée
aussi simple que «les enfants devront...», je me plie aux caprices d’un
dictateur arbitraire. Si j’utilisais les éléments nécessaires et suffisants pour
que mon message passe, je suivrais mon mouvement naturel, celui de
l’assimilation généralisatrice. (...) J’aboutirais à the childs
will must (...). Mais je (...) dois dire the children will
have to, parce que la grammaire anglaise décrète que «enfant» a un pluriel
irrégulier et que je n’ai pas le droit d’employer le mot normal pour «devoir»,
must, après la marque du futur, l’auxiliaire will.
Il n’y a là, diront certains, aucune obéissance
absurde, aucune manifestation de pouvoir de la part du plus fort ; tout
simplement, il faut respecter ces exceptions pour se faire comprendre. Ceux qui
raisonnent de la sorte (...) acceptent leur rôle d’esclave. (...) Ils se cachent
la vérité, d’une importance capitale pour notre propos : On se
comprendrait tout aussi bien si l’on disait the
childs will must .
Cette remarque est objectivement vraie, mais
(...). Je ne préconise nullement de défigurer l’anglais. J’ai trop de respect
envers toute langue humaine pour proposer une solution saccageuse d’un aspect de
la beauté culturelle du monde. (...)
Le fait qu’il s’agit d’une question de
pouvoir apparaît très nettement en classe. Quand l’élève demande : «Pourquoi on
ne peut pas employer must après will ?», le
professeur répond : «Parce que c’est comme ça». Le pauvre, il ne peut rien
dire d’autre. Mais le message sous-jacent est on ne peut plus autoritaire : «Ce
qu’on m’oblige à t’imposer n’a rien à voir avec la logique, avec ton mouvement
naturel, ni avec les nécessités de la situation. Tu le feras parce que je te le
dis.»
Et le monde entier se met à genoux devant le peuple dominant du
moment : les Français au siècle dernier, demain, peut-être, les Japonais,
aujourd’hui les Anglo-Saxons. (...)
Peut-être dois-je préciser que j’aime
l’anglais et la culture anglo-saxonne (...) Mais (...) le syndrome de Babel
atteint l’ensemble de la société. Ainsi, des individus qui peuvent être par
ailleurs éminemment sympathiques sont pris dans un système malsain où se sont
instaurés des rapports de pouvoir sans place justifiable dans les échanges
d’idées ou d’informations.
Hélas, seuls s’en rendent compte ceux qui ont été
guéris du syndrome de Babel. Le monde ignore cette catégorie de personnes. Elles
existent pourtant. Il est temps de voir comment les choses se passent chez
elles, et en quoi consiste la guérison. (...)
Il y a eu dans l’histoire
quelques exceptions remarquables à la règle selon laquelle (leur
proposition, leur modèle) n’est jamais pris(e) au sérieux
par les instances qui en sont saisies. (...) Mais c’est surtout le Secrétariat
général de la Société des Nations qui méritera les félicitations de tout
chercheur honnête s’intéressant à ces questions. En septembre 1922, il
présentait un rapport remarquablement objectif qui a failli changer la face du
monde. A vrai dire, il s’en est fallu de très peu, puisqu’une recommandation
figurant dans ce document aurait permis aux États, s’ils l’avaient appliquée, de
donner le coup de grâce à Babel tout en respectant bien plus que ne le fait la
société d’aujourd’hui la diversité culturelle et linguistique de notre planète.
(...)
VII. UNE SOLUTION QUI MÉRITE D’ÊTRE ENVISAGÉE
En étudiant les
faits, le Secrétariat de la SDN avait découvert qu’il existait partout dans le
monde un milieu restreint délivré de Babel : des gens qui, dans leurs contacts
avec l’étranger, utilisaient une langue respectant totalement la tendance
universelle à l’assimilation généralisatrice et épousant donc parfaitement le
mouvement naturel de l’expression de la pensée. Facile, mais riche, cette
langue-pont n’appartenait à aucune nation et permettait dès lors de transcender
les problèmes de pouvoir.
A vrai dire, il n’y a aucune raison de s’exprimer
à l’imparfait : cette langue est toujours vivante, toujours utilisée par des
personnes qui trouvent les barrières linguistiques gênantes et apprécient
l’aisance dans le dialogue international.
Le document publié par la
SDN préconisait d’y recourir. On peut y lire une recommandation
faite aux États pour qu’ils «reconnaissent l’importance
de répandre l’usage universel d’une langue auxiliaire pratique
pour faciliter les communications internationales, s’engageant à
introduire graduellement dans leurs écoles publiques l’enseignement
de l’espéranto et à informer la Société
des Nations des mesures qu’ils décideront de prendre à
ce sujet, soit par disposition législative, soit par décret
administratif». (3) (...)
(Ce chapitre est, pour l’essentiel, consacré à une
présentation de l’espéranto, tant sous l’angle linguistique que sous celui de sa
diffusion.)
A l’instar du chinois, l’espéranto est une langue composée
exclusivement d’éléments invariables qui se combinent à l’infini. Mais à la
différence du chinois, (...) les rapports entre les concepts y sont marqués de
façon nette.
Les recherches comparant la facilité respective des diverses
langues pèchent par excès de prudence lorsqu’il s’agit d’espéranto. Celui-ci est
au moins 20 fois, voire 50 fois, plus facile que toute autre langue, à part,
peut-être, l’indonésien (...).
Pourquoi 20 fois ou 50 fois plus facile ?
Parce que dès qu’on pratique l’espéranto on s’exerce constamment à en utiliser
les éléments constitutifs, qui sont toujours généralisables sans aucune
restriction. (Pour mieux comprendre les raisons de la facilité
très supérieure de l’espéranto par rapport aux autres langues, voir l’annexe
jointe à ce document). Parler couramment une langue, ou l’écrire avec
facilité, c’est essentiellement une question de réflexes. Or, dans l’immense
majorité des langues étrangères, on ne s’exprime pas avec aisance parce qu’un
grand nombre de réflexes à acquérir sont antinaturels (il s’agit d’inhiber les
formations spontanées auxquelles conduit l’assimilation généralisatrice) et
parce qu’ils ne sont pas suffisamment renforcés pour s’ancrer profondément dans
le système nerveux. La fragilité de ces réflexes apparaît dès qu’on reste trois
ou quatre ans sans pratiquer une langue : la perte de compétence devient
gênante. En espéranto, il n’y a pas à mettre en place de réflexes inhibiteurs :
on peut se fier totalement à l’assimilation généralisatrice. Mais surtout,
chaque minute de pratique renforce les réflexes voulus bien plus que dans toute
autre langue. L’élève qui lit une page comprenant 125 mots composés selon le
schéma «racine + o» et qui, chaque fois, constate grâce au
contexte que ces mots-là sont employés comme substantifs n’aura plus
d’hésitation pour formuler une idée sous forme substantive. Le réflexe sera
tellement puissant que l’expression juste sera automatique. Rappelez-vous cette
dame (...) qui disait : «... l’adoptage... ça va plus ?... l’adoption des
villages roumains» (ch.VI). L’erreur venait d’un
embranchement piégé : -age et -tion ont le
même sens, une fréquence analogue, mais ne sont pas interchangeables. En
espéranto, puisqu’au concept «adopter» correspond la racine adopt-, la question ne se pose pas. Avec un minimum de pratique,
le mot cherché vient par réflexe : adopto.
A première vue, ce qui est facile ou simple semble
devoir être moins riche que ce qui est compliqué. Nombreux sont ceux qui
craignent que la simplicité de l’espéranto ne débouche sur un appauvrissement.
Ils commettent l’erreur que ferait un Chinois imaginant qu’avec notre alphabet
de 26 lettres nous ne pouvons énoncer aucune des pensées profondes que peut
exprimer une langue utilisant des centaines de milliers d’idéogrammes. En fait,
ce qui fait la richesse, ce n’est pas le nombre initial d’éléments, ce sont les
possibilités de combinaison. La chimie organique nous apprend que tout ce qui
vit est composé d’un très petit nombre d’éléments différents. Quelle variété de
matières et de formes ces quelques éléments ne permettent-ils pas de produire !
La musique nous donne la même leçon. Les sept notes de la gamme suffisent à
écrire des symphonies d’une incomparable beauté.
La simplicité
est source de richesse. C’est à elle, en grande partie, que
l’espéranto doit de se prêter si bien à l’expression
poétique. Prenons par exemple le vers suivant, dû à
la poétesse tchèque Eli Urbanová : la dolĉelula
belo betula (prononcer : la doltchéloula
bélo bétoula), ce qui veut dire quelque
chose comme «la beauté du bouleau, à l’effet
doucement berceur». Il est impossible d’expliquer pourquoi
ces cinq mots sont beaucoup plus évocateurs en espéranto
qu’en traduction. Le vers lui-même a un effet berceur, à
cause de son rythme. Pour bien sentir celui-ci, il faut le prononcer
à l’italienne (...) l’effet poétique vient également
des allitérations, et en particulier de la répétition
du son l qui intensifie l’impression de bercement. Mais il
tient également, bien sûr, à l’image : un paysage
où un bouleau laisse ses branches fines et légères
s’infléchir et se redresser suivant les caprices du vent,
on le regarde dans une sorte de contemplation qui porte à
une douce somnolence... (...)
On peut résumer (les qualités de
l’espéranto) comme ceci, en reprenant les termes d’une affiche vue au stand
de l’espéranto au Salon du Livre de Genève, en 1989 :
Pas
d’exception, Pas d’arbitraire, Pas de contrainte grammaticale
capricieuse, Donc : pas de frustration.
Le droit de composer soi-même, par
simple combinaison d’éléments, des mots
simples complexes tendres percutants poignants ou rigolos...
Une créativité langagière qui se déploie sans
restriction.
C’est cela, l’espéranto : le plaisir linguistique
pur... et des amis dans le monde entier !
VIII. LA RÉSISTANCE : ÉLÉMENT NORMAL DE TOUTE NÉVROSE
Nous avons vu qu’en tant que moyen d’expression
linguistique, l’espéranto possède bien des atouts. Nous verrons au chapitre XI
que lorsqu’on le compare sur le terrain aux autres possibilités offertes aux
personnes de langues différentes pour communiquer entre elles, il se révèle très
nettement supérieur, malgré le faible investissement en temps et en effort qu’il
exige. Il se distingue des systèmes à base de gestes et de baragouinage par le
caractère riche et nuancé de l’expression qu’il permet. Il se distingue des
systèmes fondés sur le recours à des intermédiaires (interprètes, traducteurs,
outils informatiques) en ce qu’il est gratuit et assure en tout lieu un contact
direct. Et il l’emporte de loin sur le recours à une langue étrangère, qu’il
s’agisse de la langue de l’un des partenaires ou d’une langue tierce, comme
l’anglais (entre non-anglophones), parce qu’il suit mieux que
tout autre idiome le mouvement naturel de la verbalisation, fondé, on l’a vu,
sur la tendance à l’assimilation généralisatrice. Qu’il soit à la fois simple et
riche peut paraître paradoxal. Ce n’en est pas moins une réalité parfaitement
vérifiable : l’explication réside dans le caractère illimité de la combinatoire,
ainsi que dans la liberté qui préside à la structuration des énoncés. (...)
(...) Les personnes qui ont observé la langue telle qu’elle se présente en
pratique le répètent depuis belle lurette. On en trouve des témoignages dans des
documents officiels, par exemple :
«Au Secrétariat de la
Société des Nations, nous avons eu sous les yeux l’exemple
de la Conférence internationale des autorités scolaires,
dont les débats se sont déroulés en espéranto.
Il faut avouer qu’on est frappé de l’aisance et de la rapidité
avec laquelle les délégués de tous les pays
s’expriment et se comprennent. (...) La discussion se poursuit avec
une fluidité remarquable (...) et l’on accomplit en trois
jours une somme de travail qui aurait pris une dizaine de jours
à une conférence ordinaire avec plusieurs langues
officielles. (...) La prononciation de l’espéranto paraît
beaucoup plus uniforme et plus facile aux différentes bouches
que celle de l’anglais ou du français, par exemple. (...)
Ce qui impressionne surtout, c’est le caractère d’égalité
que donne à une réunion semblable l’emploi d’une langue
commune qui met tout le monde sur le même pied et qui permet
au délégué de Pékin ou de La Haye de
s’exprimer avec autant de force que ses collègues de Paris
ou de Londres. Il y a des orateurs qui sont éloquents en
espéranto.» (4)
Au vu de cette situation, une question capitale se pose :
puisque la langue a toutes ces qualités, comment se fait-il qu’elle soit si mal
connue ?
La réponse est quadruple :
1) l’espéranto ne dispose d’aucun
soutien politique et financier ; 2) il fait l’objet d’une désinformation qui
s’entretient d’elle-même depuis le début du siècle ; 3) le syndrome de Babel
appartient à la catégorie des névroses ; 4) l’espéranto est un miracle. (...)
Désinformation
Parmi tous les jugements négatifs, celui qui a sans doute
l’impact le plus puissant pour freiner la diffusion de langue consiste à
affirmer que les tentatives faites pour donner naissance à une langue
inter-peuples se sont toujours soldées par un échec. L’exemple suivant est
représentatif :
«Moins de dix ans après
Schleyer, un autre visionnaire, le docteur polonais Lazare Zamenhof,
invente (...) l’espéranto, qui eut à peine plus de
succès (...). Malgré des comités espérantistes
nés un peu partout, un début de littérature
(connue de quelques rares initiés et, paraît-il, assez
médiocre), des congrès tenus çà et là,
l’espéranto n’eut pas un avenir plus brillant que le volapük.
Qui, cent deux ans après son invention, est capable d’utiliser
ce «dialecte universel» qui devait faciliter entre les
hommes les échanges matériels et spirituels et dans
lequel ses apôtres avaient mis tant d’espérances ?»
(4)
Au vu d’un tel morceau d’éloquence prononcé par une
personnalité d’un tel niveau, comment aurait-on l’idée d’aller voir ce qu’est
l’espéranto réel ? Pareils discours ont pour effet d’étouffer la curiosité dans
l’oeuf, si bien que la vraie question n’est pas : «Comment se fait-il que
l’espéranto, malgré ses incontestables qualités, ne se soit pas imposé ?», mais
bien plutôt : «Comment se fait-il que cette langue, dont la mort est une
évidence pour la quasi-totalité du public cultivé, continue tranquillement à se
propager ?»
Nous avons vu que les partisans de l’espéranto
n’étaient pas assez riches pour lancer les campagnes de publicité qui seraient
nécessaires pour faire connaître l’existence de la langue. En tant que phénomène
sociolinguistique, l’espéranto ne peut pas davantage être connu dans sa réalité,
car on ne peut le découvrir par les sources habituelles d’information : école,
conversations, livres et médias. Dans leur grande majorité, ces sources
l’ignorent ou en donnent une image gravement déformée. Dépourvue de personnalité
juridique, une langue ne peut se défendre quand on la calomnie. Sa diffusion est
donc limitée aux contacts individuels. On apprend l’espéranto parce qu’on a vu à
quel point il fonctionnait bien. Il faut que le hasard mette en contact avec des
espérantophones et que l’intéressé ait l’esprit assez ouvert pour remettre en
question les préjugés dont la désinformation courante lui a meublé le cerveau.
Il faut aussi qu’il soit psychologiquement assez solide et assez indépendant
d’esprit pour ne pas se laisser contaminer par la contagion névrotique.
(...)
Le miracle
Quand on entend parler d’un miracle, la réaction la
plus normale est d’être sceptique. Bien sûr, si l’on était honnête, ou
suffisamment intéressé, on irait voir, on vérifierait. Mais l’être humain n’est
pas si honnête que cela, en général, et la chose ne l’intéresse pas suffisamment
pour valoir le dérangement. Face à l’extraordinaire, il glisse facilement de
l’attitude ouverte («je n’en sais rien») à l’attitude fermée
(«je n’y crois pas»).
L’espéranto relève
du miracle à plusieurs niveaux. Le plus fondamental est la
naissance en quelques décennies d’une langue à part
entière, dotée d’une littérature tout à
fait intéressante, mais sans peuple ni territoire. (5)
Une langue pleine de vie, qui permette d’exprimer tout ce qu’on
veut, est une chose tellement complexe, tellement délicate
qu’on a peine à croire qu’il ait pu en naître une sous
nos yeux. Pourtant, ce phénomène s’est produit. Il
y a un siècle, la langue dite espéranto n’existait
pas ; aujourd’hui, elle est utilisée par quelques millions
de personnes formant une sorte de diaspora. Elles sont peu nombreuses
en un point donné du globe, mais on en trouve partout, même
en Mongolie, même en Albanie, même dans un camp de réfugiés
de Tanzanie. (6)
(...) Toute langue vivante résulte
nécessairement d’un processus collectif, anonyme, largement
inconscient. L’espéranto ne fait pas exception. Le projet
publié à Varsovie en 1887 par un jeune homme, Ludwik
Lejzer Zamenhof, n’est pas la langue, ce n’en est que le point de
départ, la semence, qui ne deviendra une réalité
vivante que si elle trouve un terrain qui lui fournisse ses apports
et lui permette de grandir. Le miracle, c’est que ce terrain ait
existé et accueilli le germe. Quinze ans après la
publication de la petite brochure, le langage proposé était
utilisé par des gens d’une extrême diversité,
comme en témoigne la liste des usagers de l’espéranto
recensés en 1902. (7) Les noms à
eux seuls révèlent que la langue avait essaimé
parmi les peuples les plus distants : Akhmet Outyamitchev est un
Turkmène du district de Syr-Daria, Asayiro Oka vit à
Tokyo, Einar Asmundsson à Nesi (Islande), Stanislav Mossakowski
à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), J.M.C. Ganouna
à Tunis, E. Gosta à Buenos-Aires, M. Ravelojaona
à Tananarive... Les localités représentées
dans ce document montrent que le premier réseau d’usagers
de l’espéranto couvrait déjà le monde entier
: Santa-Fe (Argentine), Reykjavik, Ourga (Mongolie), Philadelphie,
Tientsin, Helsinki, Alexandrie, Mexico, Odessa, Bombay... Personne
ne comprend comment ce nouveau langage s’est propagé aussi
vite.
Mais ce n’est pas le seul miracle. Le plus
incroyable, c’est que, s’étant mis à communiquer, à se rendre visite, à
organiser des réunions, des congrès, des rencontres, ces gens, sans s’en rendre
compte, ont transformé le projet en une langue vivante, une langue parlée. Dans
les années vingt, il y avait déjà des couples binationaux dont l’espéranto était
la langue familiale, si bien que c’était aussi la langue maternelle des enfants.
(...)
IX. QUELQUES EXEMPLES DE RATIONALISATIONS
(...) Nous n’en finirions plus si nous voulions
faire le tour des objections avancées à l’encontre de la langue de Zamenhof.
Quelles qu’elles soient, on remarquera qu’elles présentent toujours les mêmes
caractéristiques :
— elles ne se fondent jamais sur l’espéranto réel,
c’est-à-dire tel qu’il est utilisé en pratique (par exemple sur l’observation
d’une séance, le dépouillement d’une série de magazines, une analyse de textes
ou d’enregistrements de conversations) ; — elles ne s’appuient jamais
sur l’étude de la documentation disponible (travaux de recherche publiés au
sujet de l’espéranto réel) ; — elles évitent toute comparaison avec les
systèmes sur lesquels on est forcé de se rabattre si l’on écarte l’espéranto ; — elles sont formulées sur un ton tel que l’examen de la question se
trouve en fait exclu (autrement dit, l’exclusion n’est pas la conclusion logique
d’une analyse, c’est le résultat d’une prise de pouvoir ; elle est du même ordre
que l’élimination d’un étudiant par un jury qui n’aurait pas lu ses travaux ni
regardé les notes qu’il a obtenues aux divers examens).
X. DES GENS, SOMME TOUTE, PARFAITEMENT NORMAUX
L’expression de l’affectivité
(...) Souvent, en effet, dès que quelqu’un préconise l’espéranto, il
s’entend rétorquer que cette langue ne saurait répondre aux besoins affectifs
parce qu’elle est trop jeune. Comment exprimer sa peur, sa colère, son amour, sa
jalousie, son émerveillement, ses émotions dans une langue qui n’a pas derrière
elle des siècles et des siècles d’usage ?
Croire cela, c’est faire fi de ce
qui, en réalité, inhibe l’expression de l’affectivité. L’erreur est
significative : elle révèle à quel point nous sommes, sous le vernis de la
civilisation, des primitifs soumis aux traditions de la tribu, au pouvoir des
ancêtres. Nous croyons que les formes imposées par des siècles d’usage
facilitent l’expression, alors qu’elles la compliquent. Nous faisons plus
confiance à nos ancêtres qu’à nous-mêmes, aux littérateurs qui ont forgé, mais
aussi figé, la langue, qu’aux cris qui émanent spontanément de nos tréfonds.
En fait, chacune de nos personnalités résulte de
l’interaction entre un bagage génétique et les influences de la société. La
conviction selon laquelle seule une langue multiséculaire permettrait d’exprimer
adéquatement les réactions affectives témoigne d’un étrange déséquilibre entre
les deux facteurs : elle surestime la société, elle sous-estime l’être naturel.
Nous retrouvons là, sans doute, l’une des causes de la méfiance envers
l’espéranto. L’idée que la soumission à l’autorité extérieure, et donc aux
ancêtres, puisse être pondérée par la confiance dans notre bon sens individuel,
notre logique propre, les mécanismes innés de notre système nerveux semble se
situer, pour beaucoup, au-delà des limites du supportable.
Mais, fidèles à
nos principes, laissons là les considérations théoriques pour observer les
faits. Le lecteur se souvient sans doute de cet Américain (chapitre II) qui, agressé sur un court de tennis par une dame
nettement dans son tort, lui a cédé malgré la conscience de son bon droit parce
qu’il n’arrivait pas à s’exprimer en français. En anglais, il aurait pu exprimer
sa colère et son indignation en des termes qui auraient cloué le bec à son
interlocutrice. Qu’est-ce qui a bloqué l’expression de sa réaction affective ?
Les innombrables incohérences, détours et contraintes qui caractérisent la
langue française. Le legs de nos ancêtres. (...)
Rien de tel en espéranto. La cohérence de la
grammaire et du lexique, et donc l’absence de sens interdits bloquant le
mouvement naturel de la verbalisation, permettent à l’affectivité de s’exprimer
avec cent fois plus d’aisance que dans toute autre langue. L’influx nerveux
atteint directement son but. L’assimilation généralisatrice assure la sécurité
dans l’expression. (...) (...)
La structuration de l’espéranto facilite
l’expression des nuances. Lors d’un entretien avec une Hongroise, je me souviens
lui avoir demandé : «Ce garçon, diriez-vous que vous l’aimez ?» - «Mi ametas lin», m’a-t-elle répondu. Comment traduire ? Mi amas lin veut dire «je l’aime». En insérant le monème - et - entre la racine - am -, «aimer»,
«amour», et la terminaison - as -, qui fait du concept un
verbe au présent de l’indicatif, elle introduisait la nuance qu’on met en
français lorsqu’on dit chantonner au lieu de chanter, pleuviner au lieu de pleuvoir, ou chambrette au lieu de chambre. Le verbe aimer en français ne se prête
pas à ce genre de modulation.
Dans un entretien avec une jeune Norvégienne un peu
paranoïaque j’ai ainsi relevé quatre modulations intéressantes de la racine rigard-, «regarder». Je les cite ici dans la forme qu’elle a
utilisée, au passé, qui se termine en espéranto par -is : shi rigardetis, «elle regarda à demi», «elle regarda du coin
de l’oeil» ; li rigardadis, «il regarda longuement», «il
maintint le regard» ; li rigardegis, «il regarda, les yeux
écarquillés» (comparez li kriis, «il cria», li kriegis, «il hurla») ; li rigardaĉis
(prononcez "rigardatchiss",
(rigar’da :tchis)), «il regarda d’un air mauvais». Ce dernier terme est
particulièrement difficile à traduire, toutes les traductions françaises étant
trop précises : il peut s’agir d’un regard lubrique, d’un regard sardonique,
d’un regard perturbant, tout ce qu’on sait, c’est que c’est un type de regard
qui évoque quelque chose de bas ou de déplaisant pour la personne regardée. Au
fond, la différence entre li rigardis et li
rigardaĉis est la même qu’entre «il rit» (li ridis) et
«il ricana» (li ridaĉis). (...)
Langue et identité
Dans l’intime de notre être, il y a notre sentiment
d’identité. La question «Qui suis-je ? Que suis-je ?» se situe en effet au
centre de notre psychisme. Elle est dès lors sous-jacente à tout débat sur les
langues, même si l’on n’en est pas conscient.
Dès qu’on parle de langues, on parle de soi, de soi
enfant, de soi ayant besoin d’une identité valorisante. L’enfant vit la
différence comme dangereuse. Être différent, c’est risquer d’être mis à l’écart,
et le rejet hors du groupe est la chose la plus angoissante qui soit. (...).
Découvrir qu’on parle arabe parmi les Français, yiddish parmi les Russes,
flamand dans un Bruxelles francophone, cela peut faire terriblement peur.
D’autant plus que le rejet se concrétise souvent sous la forme de l’insulte
lancée par les autres (...). Pourquoi ceux-ci se laissent-ils aller si
facilement à l’insulte ? Parce qu’ils vivent la même angoisse. Crier : «Sale
Beur !», «Tu pues, eh, Rital !» ou «Les Youpins dehors !», c’est se
rassurer. C’est se prouver qu’on appartient au groupe le plus nombreux, au
groupe «normal», à celui qui rejette et donc pas à celui qui est rejeté. C’est
pouvoir se dire : «Ouf ! Je ne risque pas d’être mis au rebut !»
Quant à celui qui appartient à une minorité, que
peut-il faire ? Il n’a le choix qu’entre deux solutions. Ou il se sent inférieur
et traînera toute sa vie son identité blessée comme un boulet qui gêne sa
liberté de mouvements et fausse bon nombre de ses réactions. Ou il s’affirme
contre cette infériorité en exaltant les valeurs de sa culture. Il renforce
ainsi son sentiment d’identité, quitte à se sentir persécuté («Ils me
détestent, parce que je leur suis supérieur»).
(...) Et pourtant ! Il n’y a rien de plus normal que
d’avoir en même temps plusieurs identités ethniques ou linguistiques. On peut se
sentir alsacien et français et être à l’aise dans ces deux rôles. (...) Quel
rapport avec notre propos ? Tout simplement que la pratique de l’espéranto
suscite elle aussi une identité. L’espéranto diffère à cet égard des autres
langues apprises :
«Bien qu’il ne soit pas une
langue maternelle, il n’est pas non plus une langue étrangère.
Chez l’espérantophone mûr, il n’est jamais ressenti
comme un idiome étranger.» (8)
Effectivement, un Suédois ou un Indonésien qui sait
sa langue et l’anglais se sent tout simplement suédois ou indonésien. Il ne se
sent pas, en plus, anglo-saxon. Par contre, celui qui pratique l’espéranto ne
tarde pas à découvrir qu’il a un sentiment d’appartenance particulier : une
identité d’espérantophone. Il se sent membre d’une vaste collectivité, d’ampleur
mondiale, respectueuse de toutes les cultures et leur surajoutant ses valeurs
culturelles propres. Mais cette identité s’intègre avec une facilité étonnante
parmi les autres. Un Colmarien qui pratique la langue de Zamenhof se sent à la
fois alsacien, français et espérantophone sans qu’il y ait la moindre
contradiction entre ces diverses appartenances. L’absence de tension vient
probablement de ce qu’elles correspondent à des niveaux différents : niveau
local, niveau national, niveau mondial.
(...) Pour le reste, ce chapitre est
surtout consacré à une présentation d’un échantillon représentatif de personnes
pratiquant l’espéranto, qui expliquent comment elles ont découvert cette langue
et ce qu’elle leur a apporté. Il s’agit d’un Américain (27 ans), d’une Japonaise
(30 ans), d’un Polonais (17 ans), d’un Français (45 ans), d’un Allemand (70
ans), d’une Chinoise (30 ans) et d’un Italien (33 ans).
Diversité du monde de l’espéranto
(...) Beaucoup de journalistes, de
linguistes, de politiciens, d’intellectuels imaginent qu’il y a
un «mouvement» espérantiste : des personnes unies
dans un même but et travaillant à la réalisation
de cet objectif. La réalité est bien différente.
Il s’agit en fait, non pas d’un mouvement, mais d’une population
hétéroclite, animée par des sentiments et des
buts très dissemblables, souvent contradictoires. Certains
veulent garder l’espéranto pour eux, (9) conscients des avantages que leur confère un moyen de communication
inter-peuples supérieur aux systèmes rivaux, alors
que d’autres font tout pour le diffuser aussi largement que possible.
D’aucuns veulent faire évoluer la langue dans le sens d’une
occidentalisation ; d’autres, au contraire, s’efforcent d’en faire
un idiome aussi peu occidental que possible. Bon nombre d’usagers
de l’espéranto y voient surtout un outil commode, en pratique,
dans les relations avec l’étranger ; mais un nombre tout
aussi considérable le perçoit essentiellement comme
un moyen de réaliser un idéal politico-social. Pour
une autre catégorie encore, il s’agit au premier chef d’un
domaine d’activité culturelle, prise très au sérieux
par les uns, tenue par les autres pour un simple hobby donnant,
à ce titre seulement, de grandes satisfactions.
XI. UN PROJET PILOTE
(...) Il arrive souvent qu’avant de lancer une
innovation en grand on entreprenne un projet pilote. On essaie le nouveau
système sur un territoire limité, dans un échantillon restreint de population,
de manière à voir quels en sont les avantages et les inconvénients sans faire
courir de risques à un grand nombre de personnes.
L’espéranto peut être
considéré comme un projet pilote mis en oeuvre depuis un peu plus d’un siècle.
Il peut servir de référence, puisqu’il est utilisé dans toutes les situations où
les autres systèmes de communication (...) sont en usage (...). Dans toutes ces
situations, quel que soit le critère employé, il se révèle nettement plus
satisfaisant.
Pareille affirmation a de quoi laisser sceptique. C’est
pourquoi il est sage de vérifier par soi-même. Celui qui recherche des preuves
découvre une chose ahurissante : voilà cent ans que l’espéranto fait l’objet
d’innombrables documents expliquant pourquoi il ne mérite pas d’être pris en
considération. Mais pas un seul de ces écrits ne se fonde sur
l’observation des faits. (...)
Les autorités de chaque pays, les responsables de
chaque organisme international méritent de s’entendre dire : «L’espéranto
existe. Or vous organisez la société de telle manière qu’il est pratiquement
inconnu. Veuillez assumer vos responsabilités. Vous avez opté pour l’anglais
employé seul, l’interprétation simultanée, le bilinguisme, la recherche sur la
machine à traduire et toutes sortes d’autres formules que vous appliquez en
puisant dans les ressources de la société. Nous avons droit à des explications.
Dites-nous donc, en vous fondant sur des comparaisons faites dans la pratique,
en quoi ces méthodes sont supérieures à l’espéranto. Expliquez-nous votre refus
de l’espéranto en étayant votre position sur des chiffres et des considérations
qualitatives irréfutables.» (...)
Qui dit objectivité dit, tout d’abord, chiffres. Les
chiffres à prendre en compte sont d’ordres très divers. Il y a des durées :
temps nécessaire, en moyenne, pour apprendre les langues dans le système actuel,
temps investi dans la formation des interprètes et des traducteurs, temps requis
pour traduire, réviser, dactylographier et composer tous les textes qui
paraissent dans les différentes langues.
Il y a des «rendements
linguistiques». Les différentes langues méritent d’être comparées du point de
vue du rendement de l’effort. Nous avons vu au chapitre IV un exemple où 6 monèmes chinois avaient un rendement équivalent à 20 formes anglaises et à 31 formes françaises.
Il serait sans doute impossible de calculer pour chaque langue la capacité de
communication que représente un nombre donné d’éléments mémorisés, mais on peut
établir un rapport entre la capacité de communication et le temps d’étude. Lors
d’une expérience menée par une institution croate, le Medjunarodni
Centar za Usluge u Kulturi, on a constaté que les élèves d’allemand avaient
dû étudier cette langue pendant trois ans (570 heures de cours) pour réussir à
présenter dans la langue de Goethe des exposés contenant la même quantité
d’informations que les exposés faits par leurs camarades en espéranto à l’issue
d’un cours de 24 heures.
Il y a des coûts : coûts de toutes les formations
linguistiques requises, coût du recrutement du personnel des services
linguistiques, traitements et indemnités versés aux traducteurs et aux
interprètes de conférence, rémunération des traducteurs travaillant à domicile
ou dans les locaux d’agences de traduction, coût des bibliothèques et du
matériel informatique utilisés par ces personnes, dépenses d’électricité
imputables à la multiplicité des langues utilisées (ordinateurs, circuits de
salle entre micros et écouteurs), frais de voyages et de séjours pour les
milliers de traducteurs et d’interprètes qui se déplacent d’un bout à l’autre de
la planète pour desservir les innombrables réunions internationales qui
utilisent ces systèmes dispendieux. Coût de la traduction dans les agences de
presse. Coût de la traduction de milliers de romans, d’ouvrages scientifiques et
techniques, de bandes dessinées, d’oeuvres spirituelles ou littéraires dans des
dizaines et des dizaines de langues, alors que si tout le monde apprenait
l’espéranto à l’école (une année scolaire !), comme le préconisait le Secrétaire
général de la Société des Nations, la majorité de ces livres ne seraient
traduits qu’en espéranto, ce qui augmenterait énormément les tirages, réduirait
les frais et mettrait la production littéraire ou scientifique du monde à la
portée de la totalité des populations scolarisées. Bien sûr, certains ouvrages
revêtant une importance toute particulière d’un point de vue littéraire ou
philosophique continueraient à être traduits dans les différentes langues. Cela
présenterait un intérêt culturel incontestable. Mais il n’y a aucune raison de
faire cela pour des oeuvres éminemment transitoires comme le sont les romans
d’espionnage ou des manuels techniques périmés au bout de vingt ans. Quant
aux éléments qualitatifs, ils méritent eux aussi d’être pris en compte. Il y a
en effet des coûts qu’il serait impossible de chiffrer, et ce sont les plus
importants : les coûts humains. La souffrance, la frustration, l’injustice, ou,
dans un autre ordre d’idées, la fatigue nerveuse. (...)
La satisfaction est elle aussi un élément qualitatif
à ne pas négliger. Ne fait-elle pas partie de la qualité de la vie ? Pour dix
personnes de pays différents qui doivent négocier ou discuter d’une question,
quelle est la situation qui offre le plus de plaisir : l’interprétation
simultanée, l’emploi exclusif de l’anglais, l’emploi général de l’anglais avec
interprétation par chuchotage pour l’un des participants, l’espéranto ? Pareille
question doit recevoir une réponse fondée sur l’observation des réunions
utilisant respectivement ces divers systèmes et sur une enquête menée auprès des
personnes qui ont l’expérience des différentes formules. Le confort, l’agrément,
la spontanéité, le sentiment de justice, l’égalité des chances dans la prise de
parole, la facilité d’élocution, tous ces éléments revêtent une importance
capitale pour une communication humaine digne de ce nom.
(Pour
une comparaison appliquant tous ces critères aux diverses formules, voir
«Communication linguistique Étude comparative faite sur le terrain» http://www.esperanto-sat.info/,
section "Documents". L’original anglais «Linguistic Communication A
Comparative Field Study» se trouve sur http://www.geocities.com/c_piron).
XII. QUELQUES PROPOSITIONS RAISONNABLES
(...) Une fois opérées les vérifications
nécessaires, si elles confirment la conclusion à laquelle nous a conduit notre
travail de consultants -- à savoir : l’espéranto est de très loin le meilleur
système de communication internationale jamais expérimenté sur notre planète --
il vaudrait la peine de reprendre la proposition faite à la page 44 du rapport
de la SDN : organiser l’enseignement de cette langue dans les écoles.
Les enfants y perdront-ils quelque chose ? Non, pour
une raison très simple, mais généralement méconnue : l’espéranto est la
meilleure propédeutique qui soit à l’étude des langues étrangères. Mais avant
d’analyser cette particularité de plus près, voyons pourquoi l’espéranto
bousculerait peu l’enseignement tel qu’il est organisé aujourd’hui.
A
l’instar de la langue la plus parlée dans le monde, le chinois, il se présente
essentiellement comme un code. On pourrait presque dire que c’est une langue
sans grammaire, qu’elle se ramène entièrement à du vocabulaire. Elle se compose
de monèmes toujours invariables. Le contraste est grand avec les langues
occidentales. (...)
Une expérience pédagogique
a été faite avec des enfants de 11 ans aux confins
de la Slovénie et de l’Autriche. Les élèves
de deux localités-frontières, géographiquement
proches mais culturellement distantes, Deutschlandsberg en Autriche
et Radlje ob Dravi en Slovénie, ont suivi un cours coordonné
d’espéranto dispensé du côté slovène
par M. Zlatko Tisljar, de l’Institut de la Culture de Maribor
(Slovénie), et par M. Siegfried Robia du côté
autrichien. «L’expérience a démontré
qu’au bout de 24 heures d’enseignement les enfants de deux cultures
différentes pouvaient converser sur les sujets de la vie
courante». (10)
A vrai dire, le rendement du système de
structuration de l’espéranto est si merveilleux qu’on peut déjà exprimer
énormément de choses à l’aide de quelques centaines de monèmes. Le magazine pour
jeunes Kontakto publie dans chaque numéro des textes marqués
d’une mention qui précise le niveau de difficulté. Le niveau 1 correspond aux
articles ou nouvelles n’utilisant pas plus de 520 monèmes, dont la liste est
périodiquement publiée. Je dis «monèmes» et non «mots», puisque as, o, a et em figurent parmi ces 520 éléments.
Or, celui qui lit ces écrits de niveau 1est étonné de constater la variété des
sujets, la qualité du style, l’expressivité des textes. On peut vraiment
exprimer des idées très diverses avec ces 520 monèmes qui constituent la base de
l’espéranto.
Faisons un petit calcul. Une année scolaire de 38
semaines de cinq jours, cela fait 190 jours. Pour que les élèves acquièrent
cette base-là, il suffit de leur apprendre tantôt trois, tantôt deux monèmes par
jour de classe. Qu’est-ce que cela représente d’apprendredeux ou trois nouveaux
«mots» par jour pour des enfants ou des adolescents, dont la logique est
généralement implacable et la mémoire excellente ? En deux minutes, l’enseignant
les a écrits au tableau et en a expliqué la signification. Huit minutes de plus
pour former quelques phrases où l’on réinsère les éléments appris précédemment,
pour apprendre les structures et entretenir l’acquis, et le tour est joué. En
dix minutes par jour pendant 38 semaines, nous pouvons changer la face du monde
pour les générations à venir ! En fait, cet enseignement pourrait être intégré
dans le cours de langue maternelle, à titre de référence linguistique, comme
nous le verrons tout à l’heure. (Certes, cette base est encore
très restreinte, mais l’expérience prouve qu’une fois qu’elle est acquise,
l’assimilation du vocabulaire suit le modèle de la boule de neige. C’est
pourquoi l’école pourrait se contenter de fournir la base, faisant confiance à
la vie pour l’étoffer.)
Cela dit, revenons à la fonction propédeutique
de l’espéranto. Qu’est-ce que cela veut dire en pratique ? Qu’une année scolaire
d’espéranto avant l’étude d’une autre langue fait gagner au moins une année à
celle-ci. L’expérience a été faite suffisamment, en Grande Bretagne, en
Finlande, en Allemagne et dans d’autres pays pour qu’il n’y ait aucun doute. Les
élèves qui font un an d’espéranto, puis cinq ans d’anglais sont aussi bons ou
meilleurs en anglais que ceux qui ont fait six ans d’anglais. Je dis
«anglais», mais j’aurais pu mettre «allemand», «latin» ou «russe». Le
rapport du groupe de travail créé par le Ministère finlandais de l’éducation
nationale pour étudier la valeur pédagogique de l’espéranto le confirme
clairement :
«Les résultats d’expériences
pédagogiques montrent, entre autres choses, qu’un cours d’espéranto
organisé dans une optique propédeutique améliore
considérablement le succès des élèves
dans l’étude des langues étrangères».
(11)
Je suis personnellement un exemple vivant de cette
réalité. L’espéranto a été ma première langue étrangère. Il m’a donné le goût
des langues, il a représenté pour moi une sorte de cours de linguistique
générale concrète, il m’a déconditionné des habitudes arbitraires de ma langue
maternelle sans que je doive me reconditionner d’emblée selon les habitudes
arbitraires d’un peuple étranger, bref, il m’a donné une avance sur mes
camarades que je n’ai jamais perdue.
L’espéranto motive pour apprendre les
langues étrangères parce qu’il met en contact avec le monde extérieur. Pourquoi
ai-je fait un diplôme de chinois ? Parce qu’à quinze ans j’ai correspondu en
espéranto avec un adolescent chinois qui m’a initié à sa culture et m’a donné
envie d’apprendre sa langue. J’ai rencontré un jour à Primosten un jeune maçon
parisien qui parlait croate. Surpris, je lui ai demandé s’il était d’origine
yougoslave. «Non, pas du tout,» m’a-t-il répondu, «je suis français à 100%.
J’avais appris l’espéranto et je suis venu ici quand les étudiants de Zagreb ont
organisé un camp espérantophone. Le pays m’a plu, les gens m’ont plu, je suis
revenu à ce camp plusieurs années de suite. Un jour je me suis senti tellement
proche de ce peuple que j’ai éprouvé le besoin d’apprendre sa langue».
(...)
Les innombrables détracteurs de l’espéranto qui lui
reprochent de détourner les jeunes des avantages culturels inhérents à l’étude
des langues étrangères feraient bien d’étudier la réalité avant de se lancer
dans des affirmations péremptoires. (...) En fait, la connaissance des langues
est plus vaste et plus profonde dans un échantillon de personnes qui, du fait
des hasards de la vie, ont appris l’espéranto dans l’enfance que dans un
échantillon aléatoire de population. La découverte de l’espéranto représente une
ouverture au monde qui se traduit souvent concrètement par l’envie d’apprendre
telle ou telle langue. (...) tout pédagogue comprendra, en voyant comment la
langue de Zamenhof est structurée, son rôle facilitateur pour l’assimilation des
autres idiomes. L’espéranto déblaie admirablement le terrain. Il est comme la
gymnastique avant la saison de ski, comme les gammes avant le concert. Il
prépare, assouplit, renforce.
Voici un exemple. Il existe quatre à six
façons de traduire, dans la plupart des langues, la phrase «vous l’aimez plus
que moi», si on ne tient compte que de l’aspect grammatical de la phrase (avec
l’aspect sémantique la distinction entre «aimer d’amour», anglais to love, et «aimer par goût», anglais to like
il faudrait doubler le nombre de possibilités). L’élève d’espéranto aura été
obligé de distinguer les six formules, comme suit :
1) vous l’aimez plus, cet homme, que vous ne m’aimez
moi : vi amas lin pli ol min ; 2) vous l’aimez plus, cet
homme, que je ne l’aime : vi amas lin pli ol mi ; 3) vous
l’aimez plus, cette femme, que vous ne m’aimez moi : vi amas ŝin
pli ol min (rappelons que ŝ se prononce «ch») ; 4)
vous l’aimez plus, cette femme, que je ne l’aime : vi amas ŝin
pli ol mi ; 5) vous l’aimez plus, cette chose, ou cet animal, que vous
ne m’aimez moi : vi amas ĝin pli ol min (ĝ
se prononce comme «Dj» dans «Djibouti») ; 6) vous l’aimez plus, cet
animal ou cette chose, que je ne l’aime : vi amas ĝin pli ol
mi.
En espéranto, le système est simple et régulier : le sujet de
l’amour est désigné par un pronom se terminant par -i, l’objet
de l’amour par un pronom se terminant par -in. En outre, c’est
une langue où il n’y a pas de genre. (...) Cette absence de genre se retrouve en
anglais, mais dans la langue de Shakespeare l’élève a une tâche plus compliquée,
puisqu’il doit apprendre des variations irrégulières, par exemple I --> me, she --> her. L’espéranto rend la précision
grammaticale transparente, mais n’oblige à mémoriser rien de plus que ce qui est
nécessaire à la clarté. Il est fondé sur le principe du «nécessaire et
suffisant». (...)
(...) l’espéranto intègre le pôle «rigueur» et le pôle
«liberté». Le rapport entre rigueur et liberté est souvent mal compris. Bien
des personnes croient que ces deux termes s’excluent. En fait, si chacun est à
sa place, c’est la rigueur qui permet la liberté. Comment les hommes ont-ils
réussi à marcher sur la lune ? Comment ont-ils conquis une telle liberté par rapport à la contrainte de la pesanteur terrestre ?
En étudiant avec rigueur des lois rigoureuses au point d’être
implacables : lois physiques, chimiques, mathématiques, astronomiques... En
prenant conscience de ces lois et de leur caractère implacable, ils ont pu en
jouer en toute sécurité. «Implacable» veut peut-être dire «terrible» en ce
sens que cela ne laisse pas d’issue, mais, par le fait même, cela veut dire
aussi «absolument fiable». Si les lois astronomiques étaient fantaisistes,
personne n’aurait jamais pu se promener sur notre satellite.
Chaque phrase d’espéranto est un modèle de bonne
coordination entre rigueur et liberté. C’est parce que le sens des éléments du
langage est implacable, ne supporte aucune exception, que l’on est libre
d’exprimer sa pensée comme on l’entend. Si, pour dire qu’une maison «brûle»,
je peux dire non seulement brulas, mais aussi flamas ou fajras (...), c’est parce que le sens
de la terminaison -as est fiable à 100% : la liberté résulte
de cette rigueur absolue. Du moment que j’ajoute -as à une
racine, j’utilise le concept comme verbe au présent de l’indicatif.
Heureusement, les contraintes n’ont pas besoin d’être nombreuses, puisque leur
validité est générale. La rigueur est implacable, mais il y en a juste la dose
qu’il faut pour permettre une immense liberté, en toute sécurité, et donc pour
stimuler la créativité dans l’expression.
Comme la rigueur dépend du cerveau gauche (chez un
droitier) et la créativité du cerveau droit, un cours d’espéranto est un
exercice de bon fonctionnement humain allant beaucoup plus loin qu’on ne
pourrait le croire à première vue. C’est surtout vrai dans le cas des enfants.
Pour les adultes, tout dépend de leur souplesse psychologique : pour certains,
un tel cours sera une véritable thérapie, un entraînement à la liberté à l’égard
d’un surmoi irrationnel ; pour d’autres, le déconditionnement par rapport à la
langue maternelle pourra être vécu comme pénible. (...)
Une déclaration
d’intention
(...) l’action à entreprendre ne saurait se limiter à
l’enseignement. On peut faire bien d’autres choses pour débloquer complètement
la situation. Par exemple travailler à obtenir une déclaration que feraient les
instances compétentes de la Communauté européenne ou de l’ONU, et selon laquelle
au bout d’un délai à déterminer (dix ans ? quinze ans ? vingt ans ?) la
documentation dans les réunions répondant à certains critères serait distribuée
exclusivement en espéranto, l’interprétation n’étant plus assurée que dans cette
langue. Autrement dit, au Parlement européen, chaque délégué aurait le droit de
s’exprimer dans sa langue, comme aujourd’hui, mais ses paroles ne seraient
traduites qu’en espéranto. On pourrait également envisager une étape
intermédiaire avec bilinguisme anglais/espéranto.
Ce simple système représenterait déjà un gain énorme
sur le plan de l’efficacité (cela supprimerait l’interprétation par relais, du
type traduction en grec de l’interprétation française d’un discours portugais)
et ne poserait pas de grands problèmes aux délégations : des personnalités de ce
niveau n’auraient aucune peine à acquérir une connaissance passive de la langue
de Zamenhof. Il est infiniment plus facile de comprendre que de s’exprimer, dans
n’importe quelle langue, et l’espéranto ne fait pas exception. En outre, il est
probable que toutes les délégations se débrouilleraient pour inclure un ou deux
membres ayant une bonne maîtrise active de l’espéranto.
On peut être assuré
qu’une fois une décision prise dans ce sens, le regard sur l’espéranto
changerait dans l’ensemble de la société. Éditeurs, institutions organisant des
cours de langue, secrétaires multilingues, juristes spécialisés dans le droit
international, toutes sortes de personnes se mettraient à apprendre la langue ou
à participer à sa diffusion tout simplement pour améliorer leurs chances de
carrière ou de profit. On verrait sans doute des magazines ou des journaux
présenter dans chaque numéro une leçon d’espéranto, souvent sur le mode
humoristique. Radios et télévisions feraient probablement de même. Ces simples
faits augmenteraient rapidement la population espérantophone, vu la facilité
d’assimilation de la langue. Il y aurait sans doute une ruée sur l’espéranto
comme il y a eu une ruée sur l’informatique.
(...) Bref, petit à petit, la gabegie actuelle
serait remplacée par un système économiquement efficace, psychologiquement
satisfaisant et présentant moins de danger, pour la diversité culturelle du
monde, que la propagation actuelle des valeurs et de la mentalité
anglo-saxonnes.
Utopie ?
Trop optimiste ce
scénario ? Utopique ? «Cela n’a aucune chance, vous prenez vos désirs pour des
réalités», me dira-t-on probablement. (...) Peut-être l’homme est-il beaucoup
plus masochiste que je ne l’imagine. Peut-être l’idée de faire facilement, à peu
de frais, quelque chose d’efficace selon un processus agréable n’a-t-elle aucune
chance quand l’autre solution possible consiste à faire d’immenses efforts pour
aboutir à une solution boiteuse, terriblement coûteuse et inefficace, en
diffusant partout injustices et frustrations.
Les personnes qui classent l’espéranto parmi les
utopies parlent comme si elles connaissaient l’avenir. Elles assument une
position de prophète. C’est leur droit. Mais ont-elles prévu la crise pétrolière
des années 70 ? (...) Ont-elles prédit l’élection d’un pape polonais ? (...)
Ont-elles dit, début novembre 1989, que le mur de Berlin allait s’écrouler, que
l’Europe de l’est abandonnerait le communisme, que l’URSS passerait à l’économie
de marché et cesserait d’exister en tant qu’entité politique ? Ont-elles parlé,
vers mars-avril 1990, de la prochaine guerre du Golfe ou, en juillet 1991, de la
guerre civile en Bosnie ? Si elles n’ont pas prévu ces événements, elles
feraient bien d’y regarder à deux fois avant de se mettre à prédire ce qui sera
possible ou non demain.
Il y a dans les phénomènes sociaux une masse
critique qui fait basculer d’une tendance à une autre. L’espéranto présente tous
les signes d’une évolution vers cette masse critique. Sa progression sur tous
les fronts est telle qu’il est tout à fait vraisemblable qu’il s’approche du
seuil où tout basculera (...) (Cela dit,) Un consultant (...)
se borne à recueillir des faits, à montrer des enchaînements logiques, à les
vérifier par l’expérience pratique et à faire ressortir en quoi telle option
diffère de telle autre. Il peut aussi définir le scénario le plus probable.
Un consultant (...) qui aurait étudié les deux systèmes rivaux qu’ont été
(...) les chiffres romains et les chiffres arabes aurait sans doute préconisé
l’adoption de ces derniers. Essayez donc de multiplier XC par XLIV ou même (...)
de faire la somme IX + XI + MCMXL + D + VIII. Vous aurez beaucoup de mal (...).
En fait, seuls des mathématiciens étaient capables d’effectuer ces opérations.
Parce qu’ils témoignent d’une cohérence beaucoup plus grande et disposent du
zéro, les chiffres arabes sont plus démocratiques : ils mettent les opérations
fondamentales à la portée des enfants, des petits artisans, des commerçants peu
cultivés. Pourtant il a fallu plusieurs siècles, après leur apparition en
Europe, pour qu’ils prennent la place des chiffres romains. L’opposition qu’ils
ont suscitée a été farouche et ils ont même été interdits dans certains États.
Mais quelle qu’ait été la résistance des puissants et des traditionalistes, ils
ont vaincu. Je crois qu’un consultant de l’époque aurait pu le prévoir. Quand un
système est nettement supérieur à un autre, il finit par l’emporter. Il y a
beaucoup de points communs entre espéranto et chiffres arabes d’une part, emploi
international des langues ethniques et chiffres romains d’autre part. Tout en
étant conscient de notre ignorance de l’avenir, on peut donc se fonder sur ce
précédent pour conclure qu’il n’est pas sot de prévoir qu’un jour viendra où la
communication internationale se fera en espéranto.
Mais pour cela, il faudra des décisions, et ce n’est
pas au consultant qu’il appartient de décider. La balle est dans le camp de ceux
qui ont le pouvoir. Et de la population, qui, dans les pays démocratiques, a son
mot à dire. C’est pourquoi j’invite les lecteurs qui ont de la sympathie pour ce
qui a été dit ici à faire connaître ce livre autour d’eux. Ne vaudrait-il pas la
peine d’exiger de nos autorités que pour une fois, dans le domaine des langues,
elles décident en connaissance de cause ?
************
Annexe : Comment se
fait-il que l’espéranto s’acquière tellement plus vite que les autres langues
étrangères ?
Si l’espérantophone se sent libre, naturel, c’est
qu’il n’a pratiquement pas de réflexes conditionnés à opposer à ses réflexes
innés. Il manie la langue de façon créative, grâce à un petit nombre de repères
d’une rigueur absolue.
L’étranger qui dit «vous musiquez
bellement» se rend peut-être ridicule, ce qui, soit dit en passant, fausse
la relation humaine, mais il ne fait qu’appliquer avec rigueur les structures de
notre langue qu’il a assimilées. En espéranto, il a le droit de dire «vi muzikas bele». La liberté de faire du concept "musique" un
verbe résulte de la rigueur de la terminaison -as : celle-ci
indique toujours, et exclusivement, un indicatif présent. La terminaison -e a la même rigueur, d’où le droit de l’appliquer chaque fois
qu’on veut indiquer la manière, le moyen, la circonstance. En espéranto, toute
structure linguistique est généralisable à l’infini.
Les langues nationales s’acquièrent de façon
additive, l’espéranto de façon multiplicative. Il y a la même différence
qu’entre progression arithmétique et progression géométrique. Dans n’importe
quelle langue occidentale, les mots santé, guérir, curatif,
etc., doivent être appris séparément : le processus est additif. En espéranto,
chaque nouvel élément multiplie le lexique préalablement
acquis. Considérons les monèmes san, qui exprime le concept de
"santé", et jun (prononcer : youn), qui correspond à la
"jeunesse" , ainsi que cinq éléments -- cinq morphèmes, dirait un linguiste --
particulièrement multiplicateurs : -a (fonction adjective), -o (fonction substantive), -i (fonction
infinitive), re (retour) et ig (causatif).
Leur combinaison donnera sana, "bien portant", sano, "santé", resanigi, "guérir" ("rendre de
nouveau bien portant"), resanigo, "guérison", resaniga, "curatif", juna, "jeune", juno, "jeunesse", rejunigi, "rajeunir", rejunigo, "rajeunissement", etc. Un seul monème de plus, ebl, qui exprime la possibilité, accroîtra sensiblement votre
vocabulaire. A côté de ebla, "possible" et eblo, "possibilité", vous formerez resanigebla
ou sanigebla, "guérissable", "curable" et rejunigebla, "susceptible d’être rajeuni", pour ne rien dire d’ebligi, "rendre possible", "donner la possibilité".
Le même
système étant appliqué à toute la langue, le vocabulaire à mémoriser est
fortement réduit. En appliquant les cinq éléments précités à la racine vid, «voir», l’élève formera lui-même vidi,
"voir", vido, "vue", "vision", vida,
"visuel", vidigi, "faire voir", "montrer", vidigo, "fait de faire voir", "action de montrer", vidiga, "qui fait voir", "illustratif", revidi,
"revoir", revido, "la ’revoyure’", videbla, "visible", videblo, "visibilité", videbligi, "rendre visible", videbligo, "action
de rendre visible", revidebliga, "qui a pour effet de rendre
de nouveau visible", etc. Ainsi, une fois les cinq premiers éléments acquis, il
suffit d’apprendre une racine, vid-, pour pouvoir traduire
neuf mots français et composer soi-même quatre mots supplémentaires qui ne
peuvent être traduits dans notre langue que par des circonlocutions.
Deux attitudes opposées, chacune légitime à son
niveau, se présentent dans les apprentissages linguistiques. Dans le cas d’une
langue nationale, c’est la soumission ; pas question de vagabonder hors des
chemins tracés : il m’aide est admis, il aide
moi ou il aide à moi sont exclus. En anglais ou en
allemand, on n’a pas davantage de choix, mais les structures imposées sont
différentes : he helps me (il aide moi), er
hilft mir (il aide à moi). Ces contraintes sont comparables aux usages et
formes de politesse qu’il faut respecter si l’on ne veut pas choquer et qui
donnent à chaque culture sa saveur irremplaçable. Mais ce qui a un sens dans le
cadre d’une culture donnée n’en a plus au niveau interculturel. L’ordre des mots
de la phrase néerlandaise ou allemande, qui contribue à donner à ces langues
leur génie particulier, se mue en handicap dans la communication inter-peuples :
il empêche l’étranger de s’exprimer avec la même aisance que le natif. Visant à
faciliter au maximum le dialogue humain, l’espéranto ne pouvait imposer les
habitudes d’un peuple déterminé ; il a donc naturellement débouché sur une
attitude opposée à la soumission : le libre choix. L’échange interhumain
n’atteint son niveau le plus parfait que si l’énergie nerveuse, ou l’attention,
se centre sur le contenu du message, pas sur des détails formels. Dans l’exemple
précité, pour que le message passe, il faut et il suffit que le sujet soit
distingué de l’objet et que le concept d’aide soit exprimé sous forme de verbe
au présent. Ces points respectés, l’usager de l’espéranto est libre : li min helpas, li helpas min, li helpas al mi sont également
corrects et fréquents. Le choix dépend de l’humeur du moment ou de l’effet
stylistique recherché (rythme, par exemple). De même, pour exprimer l’idée «il
ira en tram», l’espérantophone a une latitude sans équivalent ailleurs : li iros en tramo (en, «dans») ; li iros per tramo (per, «au moyen de») ; li trame iros (-e indique la manière, le
moyen) ; li iros pertrame (redondance parfaitement admise), li tramos (-os, indicatif futur), etc.
Grâce à l’effet multiplicatif, joint à la cohérence
absolue des structures grammaticales et à l’absence de contraintes formelles,
l’élève moyen accède en un an à une capacité de communication supérieure à celle
que lui confère, à nombre égal d’heures hebdomadaires, huit ans d’anglais.
____________
1. English
Language Fair, Newsletter, n° 3, Londres, Barbican Centre,
22-24 octobre 1984.
2. Cité
par Jean-Claude Buffle, «Indiens américains : les guerres
de 1991», L’Hebdo, 7 mars 1991, p. 31.
3. Société
des Nations, "L’espéranto comme langue auxiliaire internationale."
Rapport du Secrétariat général, adopté
par la Troisième Assemblée (Genève : SDN, 1922),
p. 44.
4. Jacques
Ruffié, Professeur au Collège de France, membre de
l’Académie de médecine, «La responsabilité
des scientifiques» in, Bernard Cassen, "Quelles langues
pour la science ?" (Paris : La Découverte, 1990), p.
213.
5. Richard
E. Wood, «A voluntary non-ethnic, non-territorial speech community»
in William Francis Mackey et Jacob Ornstein, réd. Sociolinguistic
Studies in Language Contact (La Haye, Paris et New York : Mouton,
1979), pp. 433-450.
6. Maendeleo
Esperanto-Klubo, Kigwa-Tabora.
7. Elle
est reproduite dans : Adolf Holzhaus, Doktoro kaj Lingvo Esperanto
(Helsinki : Fondumo Esperanto, 1969), pp. 244-264
8. Pierre
Janton, «La résistance psychologique aux langues construites,
en particulier à l’espéranto», Journée
d’étude sur l’espéranto (Paris : Université
de Paris VIII, Institut de linguistique appliquée et de didactique
des langues, 1983), p.70.
9. Voir
l’éditorial de Hans Bakker dans le numéro de mai 1993
de la revue "Esperanto".
10. «24
Stunden Esperanto für 11jährige Schüler aus der Steiermark
und Slowenien», Westösteirreichische Rundschau, 27 mars
1993, p. 16.
11. Opetusministeriön
Työryhmien Muistioita, Opetusministeri ön Esperantotyöryhmän
Muistio, Helsinki : Ministère de l’éducation,
1984, p. 28. Voir également Helmar Frank, «Die Wesensmerkmale
des Paderborner Modell für den Sprachorientierungsunterricht»
in T. Carlevaro et G. Lobin, réd., Einführung
in die Interlinguistik (Alsbach : Leuchtturm-Verlag, 1979).
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