Réponse à Catherine
Tasca, spécialiste de la communication et de la francophonie
en tant que ministre et secrétaire d'Etat
Le 16 octobre dernier, Mme Catherine Tasca a mis en garde les défenseurs
de la francophonie contre le risque que "le monde ne communique qu'au travers
d'un seul Espéranto," ce qui, d'après elle, "serait dramatique culturellement,
démocratiquement, etc.," et elle a préconisé "que chacun défende sa
langue nationale".
Il est effectivement d'une importance capitale que chacun défende sa langue
nationale, et il serait catastrophique que les êtres humains communiquent exclusivement
en espéranto.
Mais ayant vécu dans plusieurs milieux internationaux, l'un utilisant l'anglais,
l'autre l'interprétation simultanée, un troisième le français, un quatrième
le baragouinage et les gestes, et un cinquième l'espéranto, je peux témoigner
que ce dernier offre le système le plus agréable de communication entre personnes
de langues différentes.
Il est plus efficace,
donne un meilleur rendement de l'effort, et se révèle
psychologiquement bien plus satisfaisant que toutes les autres formules
(voir mon article "Communication
linguistique – Étude comparative faite sur le terrain",
Language Problems and Language Planning, vol. 26, n°
1, printemps 2002, pp. 22-50). Personnellement, j'avais plus d'aisance
en espéranto au bout de six mois qu'en anglais au bout de
six ans, et je connais bien des personnes, aux langues maternelles
très diverses, qui ont fait la même expérience.
Bien sûr, il est bon qu'à côté de l'espéranto on s'initie à une ou plusieurs
autres langues pour élargir son horizon culturel. D'ailleurs, si l'on observe
comment les choses se passent dans le monde de l'espéranto, on se rend compte
que celui-ci ne présente aucun inconvénient sur le plan de la culture, bien
au contraire. Les enquêtes révèlent que ses usagers connaissent mieux les cultures
étrangères que les personnes unilingues ou que celles qui, outre leur langue
maternelle, ne savent que l'anglais. De plus, parce qu'il donne la possibilité
de communiquer sur un pied d'égalité comme aucune autre formule ne le permet,
l'espéranto s'avère être, à l'épreuve du réel, le système le plus démocratique.
Si l'humanité transférait à l'espéranto toute l'énergie qu'elle investit
actuellement, avec de piètres résultats, dans l'apprentissage de l'anglais,
le français retrouverait une place de choix dans toutes les écoles du monde.
Les heures libérées par l'acquisition rapide de l'espéranto, qui réglerait le
problème de la communication à l'échelle mondiale, seraient disponibles pour
l'étude d'autres langues, attrayantes en raison de leur intérêt culturel.
On peut être assuré que le français serait une des langues choisies par de
nombreux élèves de tous les pays. Son prestige est encore très grand dans des
pays comme le Japon, l'Iran et la Grèce, où les parents d'élèves ne lui préfèrent
l'anglais que parce que, dans la société actuelle, il est pratiquement incontournable
si l'on veut faire une carrière intéressante, qu'elle soit commerciale, scientifique
ou autre. Autrement dit, si le prestige du français n'a pas l'effet souhaitable,
c'est uniquement parce qu'on ne veut pas voir qu'il y a une alternative à l'anglais
et qu'elle exige nettement moins de temps pour être utilisable en pratique.
L'espéranto a été ma première langue étrangère et il m'a donné le goût des
langues, au point que je suis devenu traducteur à l'ONU pour l'anglais, le chinois,
le russe et l'espagnol. Je suis prêt à me soumettre à un examen permettant d'évaluer
mon niveau culturel, par comparaison avec celui de personnes qui ne savent pas
l'espéranto. Sur le plan international, le recours à l'espéranto est infiniment
plus démocratique que l'adoption de l'anglais ou d'autres langues privilégiées,
qui placent dans une situation d'infériorité les locuteurs de "petites
langues" (slovène, hongrois, finnois, lituanien, etc., pour ne rien dire
des langues asiatiques et africaines).
Il est regrettable qu'une désinformation qui s'entretient d'elle-même depuis
le début du siècle dernier empêche le public, et notamment le public cultivé
- ainsi que les ministres et hauts fonctionnaires - de se faire une idée exacte
de ce qu'est l'espéranto. Cela revient à s'inféoder à la culture anglo-saxonne
sans apporter pour autant une solution équitable aux problèmes que pose la barrière
des langues.
On ne connaît une réalité
que si on l'étudie par comparaison à d'autres. Il
est contraire aux règles communément admises en droit
et en science de porter publiquement un jugement négatif
sur l'espéranto sans l'avoir jamais observé dans la
pratique et donc sans avoir vu comment il s'acquittait de sa tâche
de truchement international par comparaison avec l'anglais, l'interprétation
simultanée et les autres formules couramment utilisées
entre personnes de langues différentes. Il serait temps qu'en
haut lieu on en prenne conscience et qu'on se ressaisisse.
Les e-Tables rondes d'Ujjef.com, octobre 2003
La
francophonie... a-t-elle un avenir dans la communication des entreprises
?
|