Lettre à M. Lacarrière
M. Lacarrière se trompe
lorsqu'il dit que personne n'a jamais appelé sa mère en espéranto.
Il n'y a pas très longtemps j'ai eu au téléphone le jeune Romain
Belisle (7 ans) qui m'a parlé, comme d'habitude, en espéranto, langue
qu'il utilise toujours avec sa mère. Je participe aux échanges par
Internet de la liste "denask",
qui regroupe des familles du monde entier dont la langue quotidienne
est l'espéranto. Si M. Lacarrière a besoin de preuves, qu'il s'adresse
à l'administrateur de cette liste, le Prof. Jouko Lindstedt, directeur
du département des langues baltes et slaves à l'Université d'Helsinki.
Autre possibilité : qu'il assiste à un camp international de familles
espérantophones, dont le Prof. Lindstedt pourra certainement lui
fournir les coordonnées. M. Lacarrière ne pourra que prendre acte
de son erreur.
Par ailleurs, affirmer,
comme il le fait, que l'espéranto n'a pas d'enfance, c'est mal connaître
l'histoire de cette langue. Après une longue gestation (1875-1887),
l'espéranto a vécu une enfance comparable à celle de toutes les
autres langues. La communauté espérantophone a toujours beaucoup
publié. Il est donc facile de suivre l'évolution qui s'est produite
entre l'époque où les usagers de la langue ne pouvaient pas s'appuyer
sur une tradition, où leur expression était gauche, raide, peu esthétique
- l'époque où la langue vivait son enfance - et l'espéranto d'aujourd'hui,
riche, souple, expressif, à bien des égards plus vivant que le français
(voir mon texte "Evolution
is proof of life", http://claudepiron.free.fr).
Comment une langue utilisée tous les jours pendant plus d'un siècle
d'un bout à l'autre de la planète aurait-elle pu rester ce "langage
codé et artificiel" auquel M. Lacarrière l'assimile injustement
?
L'espéranto est de l'ordre du miracle. Il était extrêmement improbable
que le projet de Zamenhof débouche sur une langue vivante aussi
satisfaisante, psychologiquement et littérairement, que l'espéranto
d'aujourd'hui. Mais il arrive que l'improbable devienne réalité.
Les faits sont là. Je mets M. Lacarrière au défi de me citer un
chercheur qui, ayant étudié le monde de l'espéranto, abonde dans
son sens.
Claude Piron, 22 rue de l'Etraz, CH-1196 Gland, Suisse, auteur
de l'ouvrage "Le
défi des langues" (L'Harmattan, 2e éd. 2001)
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