Multilinguisme - Peut-on se fier aux sondages?
"56% des personnes interrogées dans l’Union européenne
sont capables de participer à une conversation dans une autre langue
que leur langue maternelle," dit l’Eurobaromètre. Désolé, mais je
demande à voir. Ces sondages consistent à demander aux personnes
quelles sont les langues qu’elles sont capables d’utiliser. Mais il y a
un grand décalage entre ce qu’elles disent et la réalité. Il y a celles
qui exagèrent consciemment pour ne pas perdre la face devant
l’enquêteur. Il y a celles qui ne comprennent pas la question –par
exemple, pour elles "savoir une langue " veut dire "avoir quelques
vagues souvenirs scolaires" – et il y a celles qui sont honnêtes, mais
qui n’ont aucune idée de leur niveau réel. Je me souviens d’un sondage
où 20% des personnes interrogées se sont classées dans la catégorie
"sait parfaitement l’anglais". Mais quand on leur a demandé comment
elles comprenaient trois petits textes d’anglais courant, on s’est
rendu compte que seuls 3% réussissaient le test.
D’ailleurs, que veut dire "participer à une
conversation" ? De quel genre de conversation s’agit-il ? Quel est le
degré d’aisance qui donne droit au classement dans la catégorie "est
capable de participer" ? Quelle est l’étendue de la gamme de sujets
susceptibles d’être abordés ? Y a-t-il correspondance entre ce que la
personne dit et ce qu’elle croit dire, entre ce qu’elle comprend et ce
qu’on lui a dit ? Si l’on ne vérifie pas ces points, le sondage est
sans valeur.
Récemment, j’ai corrigé une lettre en anglais écrite
par un jeune qui avait fait six années d’anglais, suivies de trois mois
d’étude dans une école d’anglais à San Francisco, puis, quelques années
plus tard, d’un séjour linguistique à Toronto. Croyant dire "j’ai
travaillé dur", il avait écrit I hardly worked, ce qui veut dire "j’ai à peine travaillé" (mais son sens de la langue était correct : hard veut dire "dur" et on forme l’adverbe en ajoutant ly). Un peu plus loin il disait : I’ll do it eventually.
Il voulait dire "je le ferai éventuellement" et a eu de la peine à me
croire quand je lui ai dit que cela signifie en fait "je finirai par le
faire". J’ai fait assez souvent des expériences de ce genre pour être
très sceptique sur le réalisme de ces enquêtes.
Les sondages, qui, comme par hasard, concluent toujours
à la progression du multilinguisme, sont un leurre. Ils contribuent à
empêcher la prise au sérieux du problème des langues. Pourquoi
chercherait-on à doter les citoyens d’un système efficace et rapidement
accessible de communication linguistique, puisque – les sondages le
montrent, nous dit-on – tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes linguistiques ? La politique de l’autruche est tellement plus
facile qu’une étude sérieuse des faits !
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