Ido ou espéranto?
Bonjour,
Merci de votre question. Il est possible que je
sois partial, pas objectif. Jugez donc en fonction de ce que vous
trouverez chez les idistes.
L'ido est, si vous
voulez, une "dissidence". L'espéranto est une langue très différente des
langues européennes, bien qu'à première vue cela ne se remarque pas.
Ce côté non européen de
l'espéranto est un immense avantage: la langue est bien adaptée à
la communication à l'échelle mondiale, d'où son succès au Japon, en
Chine, en Mongolie, en Corée, au Vietnam, en Iran, aussi en Russie,
en Hongrie, etc. Mais, au cours de l'histoire, cela a été un grave
inconvénient pour son image: les Occidentaux -- et à l'époque,
l'Occident dominait le monde encore plus que maintenant -- ont trouvé
l'espéranto bizarre, cette bizarrerie a été attribuée au fait qu'il
était "artificiel" et certains ont estimé qu'il fallait le modifier
pour le rendre plus "naturel".
Par exemple, il
existe en espéranto une série de mots qui font partie d'un tableau à double
entrée, les corrélatifs, qui ont choqué les Français de l'époque (l'ido
date d'environ 1907; voir le ch. XII du livre de René Centassi et Henri
Masson "L'homme qui a défié Babel", L'Harmattan, 2002). Ces
mots leur ont paru "artificiels" et la réforme de l'ido les a
remplacé par des mots prétendument "naturels". Par
exemple, là où l'espéranto dit *kiam*, 'quand' ;
*tiam*, 'alors' ; *chiam*, 'toujours' ;
*neniam*, 'jamais' (parallèlement à *kie*, 'où' ; *tie*,
'là' ; *nenie*, 'nulle part', etc.), l'ido a des mots
sans rapport les uns avec les autres, des mots comme *kand*, *lore*,
*sempre*, *nultempe*. C'est vrai que, d'un point de
vue occidental, ces mots paraissent plus attirants, préférables. Mais
l'ido s'est ainsi éloigné d'un vieux modèle indo-européen qu'on retrouve
partiellement en grec, en russe, en lituanien et dans d'autres langues, et
même, dans une certaine mesure, dans des langues non indo-européennes comme
le chinois.
A mon avis, pour une langue mondiale,
l'introduction de ces mots a été une erreur. Lors d'une étude sur la
mémoire faite à l'Université Columbia, à New York, il est apparu qu'au bout
de six mois, puis d'un an, les sujets qui avaient appris la série de mots
espérantos se les rappelaient beaucoup mieux ("dans une mesure
statistiquement significative") que ceux qui avaient appris les autres
mots, sans lien les uns avec les autres. Comme pour un Coréen ou un
Ethiopien un mot d'origine latine est de toute façon totalement arbitraire,
il me paraît préférable d'avoir les corrélatifs de l'espéranto, qui se
mémorisent plus facilement. Après tout, l'intelligence est plus
universelle que la mémoire, comme l'a prouvé plus d'un siècle de pratique
de l'espéranto.
L'ido est nettement plus "latin" que
l'espéranto. Par exemple, là où l'espéranto a *kaj*, 'et', mot
d'origine grecque, l'ido a *e* (*ed* devant voyelle), là
où l'espéranto dit *krom*, 'à part', 'en plus de', 'outre',
qui est un mot slave, l'ido dit *ultre*. Dans d'autres cas on
ne voit pas très bien pourquoi les auteurs de l'ido ont choisi de remplacer
la forme qu'on trouve en espéranto par une autre. Personnellement, je ne
vois pas ce qu'on a gagné à remplacer *mi legis*, 'j'ai lu',
par *me lektis*.
L'ido présente, sur le plan linguistique,
d'autres inconvénients que l'espéranto a réussi à éviter, mais je n'ai pas
sous la main les documents qui me permettraient d'aller davantage dans le
détail. Par exemple, si ma mémoire est juste, là où l'espéranto a
uniquement le suffixe *-igi*, l'ido en a plusieurs: *-ifar*,
*-izar*, *-igar*, qui correspondent à des subtilités qui étaient
censées rendre la langue plus claire, mais qui, en pratique, inhibent
l'expression spontanée. Malheureusement je ne peux pas vous en dire plus
pour le moment, faute de documents. Et je n'ai pas le temps aujourd'hui de
rechercher des exemples sur internet. Pour moi, mais, encore une fois,
gardez votre esprit critique, ne me croyez pas sur parole, le seul résultat
de la prétendue réforme de l'ido a été de discréditer l'idée de langue
internationale et de diviser ses partisans. Dire que l'ido est une
simplification est une contre-vérité; il l'est à certains points de vue,
mais pas à d'autres.
Je vous avoue que je trouve
l'espéranto supérieur à l'ido si l'on va un peu profond. Si l'on s'en tient
à la surface, à l'apparence, l'ido est sans doute plus séduisant pour un
Occidental. Et un Occidental qui a appris l'espéranto comprend l'ido
sans aucune difficulté, il a l'impression qu'il s'agit d'un autre dialecte
de la même langue. Je ne suis pas sûr que l'inverse soit
vrai.
C'est vrai que les lettres à circonflexes ont
compliqué la diffusion de l'espéranto. Mais ce n'est qu'un problème
superficiel puisqu'il est très facile, comme le recommandait Zamenhof pour
les cas où une imprimerie ne disposait pas des caractères nécessaires, de
les remplacer par un *h* après la consonne et de remplacer le
*u* avec un petit demi-cercle par un *u* normal. La
plupart des traitements de texte ont les caractères de l'espéranto, et
pour l'Internet, on peut aussi les utiliser si on a Unicode. Mais, comme je
viens de le dire, ce n'est même pas nécessaire.
Il faut aussi savoir que l'ido est
l'aboutissement d'une traîtrise. Ses deux principaux promoteurs, Couturat
et de Beaufront, étaient vraiment des gens malhonnêtes qui ont gagné la
confiance de Zamenhof (alias Dr Esperanto), lui ont fait croire qu'ils
allaient le soutenir, puis lui ont donné un coup de poignard dans le dos.
C'est une histoire assez compliquée qui est très bien expliquée dans
"L'homme qui a défié Babel". Zamenhof, par contre, a toujours
été d'une honnêteté scrupuleuse. C'était un homme d'une grande valeur
morale, qui n'avait aucune ambition pour lui-même, alors que Couturat et
Beaufront étaient des ambitieux qui voulaient se mettre
en avant.
Enfin, ce qui est peut-être plus
important, c'est que sur 100.000 personnes qui pratiquent réellement une
langue internationale n'appartenant à aucune nation, 99.996 pratiquent
l'espéranto, deux l'interlingua, une l'ido et une l'un des autres
projets. (L'interlingua a les mêmes défauts que l'ido, du point de vue
d'une langue mondiale, mais en plus accentués. En revanche, il pourrait
être une bonne langue pour les Amériques, c'est-à-dire comme intermédiaire
entre gens de langue anglaise, espagnole, portugaise, française et créole).
Du fait de sa faible diffusion, l'ido ne sert à rien sur le plan pratique,
il n'est parlé nulle part à la radio (contrairement à l'espéranto,
parlé plusieurs fois par jour par Pékin et Varsovie, trois fois par semaine
par Radio Vatican, etc, voir http://esperanto-panorama.net/franca/radio.htm). Il se publie peu de livres en ido, alors
qu'il paraît un ou deux titres par semaine en espéranto. Avec le service
d'hébergement organisé par les associations espérantophones, vous pouvez
trouver à vous loger gratuitement chez l'habitant dans plus de 80 pays, si
vous savez l'espéranto. Rien de comparable n'existe avec l'ido. Il y a des
familles qui parlent espéranto et des enfants dont c'est la langue
maternelle (en général il s'agit de personnes de langues différentes qui se
sont rencontrées lors d'activités internationales en espéranto, se sont
aimées, ont eu des enfants et n'avaient au départ que l'espéranto comme
langue commune). Cette présence dans la vie de tous les jours existe avec
l'espéranto, pas l'ido. De même, depuis 1985, il y a chaque jour quelque
part dans le monde au moins une réunion, une session, une conférence, un
congrès en espéranto (voir: http://www.eventoj.hu/kalendar.htm). Il y a peut-être de temps en temps un
congrès qui se tient en ido, mais si c'est le cas, c'est
très rare.
Un autre moyen de comparer
objectivement les deux langues, leur rayonnement respectif, serait sans
doute de taper leurs noms sur un moteur de recherche et de voir combien de
documents on obtient pour l'une et
pour l'autre.
Voilà ce que je peux dire en
réponse à votre question sur l'ido. Comme je vous l'ai dit, je ne suis pas
vraiment compétent. Je n'ai sous la main qu'un petit spécimen sur lequel je
me suis basé pour les exemples ci-dessus. Et il me reste de vagues
souvenirs d'une époque où j'avais pas mal lu sur les divers projets de
langue internationale.
J'espère que ces quelques
indications vous paraîtront satisfaisantes. J'espère aussi ne pas vous
avoir cassé les pieds avec une réponse aussi longue. Comme les sujets sont
complexes, c'est difficile d'être bref sans déformer la réalité. Il va
sans dire que je suis à votre disposition si vous souhaitez obtenir des
précisions supplémentaires.
Bien
amicalement, CP
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