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CLAUDE PIRON

 

 

 

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Ido ou espéranto?

       Bonjour,

       Merci de votre question. Il est possible que je sois partial, pas objectif. Jugez donc en fonction de ce que vous trouverez chez les idistes.

       L'ido est, si vous voulez, une "dissidence". L'espéranto est une langue très différente des langues européennes, bien qu'à première vue cela ne se remarque pas. Ce côté non européen de l'espéranto est un immense avantage: la langue est bien adaptée à la communication à l'échelle mondiale, d'où son succès au Japon, en Chine, en Mongolie, en Corée, au Vietnam, en Iran, aussi en Russie, en Hongrie, etc. Mais, au cours de l'histoire, cela a été un grave inconvénient pour son image: les Occidentaux -- et à l'époque, l'Occident dominait le monde encore plus que maintenant -- ont trouvé l'espéranto bizarre, cette bizarrerie a été attribuée au fait qu'il était "artificiel" et certains ont estimé qu'il fallait le modifier pour le rendre plus "naturel".

       Par exemple, il existe en espéranto une série de mots qui font partie d'un tableau à double entrée, les corrélatifs, qui ont choqué les Français de l'époque (l'ido date d'environ 1907; voir le ch. XII du livre de René Centassi et Henri Masson "L'homme qui a défié Babel", L'Harmattan, 2002). Ces mots leur ont paru "artificiels" et la réforme de l'ido les a remplacé par des mots prétendument "naturels". Par exemple, là où l'espéranto dit *kiam*, 'quand' ; *tiam*, 'alors' ; *chiam*, 'toujours' ; *neniam*, 'jamais' (parallèlement à *kie*, 'où' ; *tie*, 'là' ; *nenie*, 'nulle part', etc.), l'ido a des mots sans rapport les uns avec les autres, des mots comme *kand*, *lore*, *sempre*, *nultempe*. C'est vrai que, d'un point de vue occidental, ces mots paraissent plus attirants, préférables. Mais l'ido s'est ainsi éloigné d'un vieux modèle indo-européen qu'on retrouve partiellement en grec, en russe, en lituanien et dans d'autres langues, et même, dans une certaine mesure, dans des langues non indo-européennes comme le chinois.

       A mon avis, pour une langue mondiale, l'introduction de ces mots a été une erreur. Lors d'une étude sur la mémoire faite à l'Université Columbia, à New York, il est apparu qu'au bout de six mois, puis d'un an, les sujets qui avaient appris la série de mots espérantos se les rappelaient beaucoup mieux ("dans une mesure statistiquement significative") que ceux qui avaient appris les autres mots, sans lien les uns avec les autres. Comme pour un Coréen ou un Ethiopien un mot d'origine latine est de toute façon totalement arbitraire, il me paraît préférable d'avoir les corrélatifs de l'espéranto, qui se mémorisent plus facilement. Après tout, l'intelligence est plus universelle que la mémoire, comme l'a prouvé plus d'un siècle de pratique de l'espéranto.

       L'ido est nettement plus "latin" que l'espéranto. Par exemple, là où l'espéranto a *kaj*, 'et', mot d'origine grecque, l'ido a *e* (*ed* devant voyelle), là où l'espéranto dit *krom*, 'à part', 'en plus de', 'outre', qui est un mot slave, l'ido dit *ultre*. Dans d'autres cas on ne voit pas très bien pourquoi les auteurs de l'ido ont choisi de remplacer la forme qu'on trouve en espéranto par une autre. Personnellement, je ne vois pas ce qu'on a gagné à remplacer *mi legis*, 'j'ai lu', par *me lektis*.

       L'ido présente, sur le plan linguistique, d'autres inconvénients que l'espéranto a réussi à éviter, mais je n'ai pas sous la main les documents qui me permettraient d'aller davantage dans le détail. Par exemple, si ma mémoire est juste, là où l'espéranto a uniquement le suffixe *-igi*, l'ido en a plusieurs: *-ifar*, *-izar*, *-igar*, qui correspondent à des subtilités qui étaient censées rendre la langue plus claire, mais qui, en pratique, inhibent l'expression spontanée. Malheureusement je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, faute de documents. Et je n'ai pas le temps aujourd'hui de rechercher des exemples sur internet. Pour moi, mais, encore une fois, gardez votre esprit critique, ne me croyez pas sur parole, le seul résultat de la prétendue réforme de l'ido a été de discréditer l'idée de langue internationale et de diviser ses partisans. Dire que l'ido est une simplification est une contre-vérité; il l'est à certains points de vue, mais pas à d'autres.

       Je vous avoue que je trouve l'espéranto supérieur à l'ido si l'on va un peu profond. Si l'on s'en tient à la surface, à l'apparence, l'ido est sans doute plus séduisant pour un Occidental. Et un Occidental qui a appris l'espéranto comprend l'ido sans aucune difficulté, il a l'impression qu'il s'agit d'un autre dialecte de la même langue. Je ne suis pas sûr que l'inverse soit vrai.

       C'est vrai que les lettres à circonflexes ont compliqué la diffusion de l'espéranto. Mais ce n'est qu'un problème superficiel puisqu'il est très facile, comme le recommandait Zamenhof pour les cas où une imprimerie ne disposait pas des caractères nécessaires, de les remplacer par un *h* après la consonne et de remplacer le *u* avec un petit demi-cercle par un *u* normal. La plupart des traitements de texte ont les caractères de l'espéranto, et pour l'Internet, on peut aussi les utiliser si on a Unicode. Mais, comme je viens de le dire, ce n'est même pas nécessaire.

       Il faut aussi savoir que l'ido est l'aboutissement d'une traîtrise. Ses deux principaux promoteurs, Couturat et de Beaufront, étaient vraiment des gens malhonnêtes qui ont gagné la confiance de Zamenhof (alias Dr Esperanto), lui ont fait croire qu'ils allaient le soutenir, puis lui ont donné un coup de poignard dans le dos. C'est une histoire assez compliquée qui est très bien expliquée dans "L'homme qui a défié Babel". Zamenhof, par contre, a toujours été d'une honnêteté scrupuleuse. C'était un homme d'une grande valeur morale, qui n'avait aucune ambition pour lui-même, alors que Couturat et Beaufront étaient des ambitieux qui voulaient se mettre en avant.

       Enfin, ce qui est peut-être plus important, c'est que sur 100.000 personnes qui pratiquent réellement une langue internationale n'appartenant à aucune nation, 99.996 pratiquent l'espéranto, deux l'interlingua, une l'ido et une l'un des autres projets. (L'interlingua a les mêmes défauts que l'ido, du point de vue d'une langue mondiale, mais en plus accentués. En revanche, il pourrait être une bonne langue pour les Amériques, c'est-à-dire comme intermédiaire entre gens de langue anglaise, espagnole, portugaise, française et créole). Du fait de sa faible diffusion, l'ido ne sert à rien sur le plan pratique, il n'est parlé nulle part à la radio (contrairement à l'espéranto, parlé plusieurs fois par jour par Pékin et Varsovie, trois fois par semaine par Radio Vatican, etc, voir http://esperanto-panorama.net/franca/radio.htm). Il se publie peu de livres en ido, alors qu'il paraît un ou deux titres par semaine en espéranto. Avec le service d'hébergement organisé par les associations espérantophones, vous pouvez trouver à vous loger gratuitement chez l'habitant dans plus de 80 pays, si vous savez l'espéranto. Rien de comparable n'existe avec l'ido. Il y a des familles qui parlent espéranto et des enfants dont c'est la langue maternelle (en général il s'agit de personnes de langues différentes qui se sont rencontrées lors d'activités internationales en espéranto, se sont aimées, ont eu des enfants et n'avaient au départ que l'espéranto comme langue commune). Cette présence dans la vie de tous les jours existe avec l'espéranto, pas l'ido. De même, depuis 1985, il y a chaque jour quelque part dans le monde au moins une réunion, une session, une conférence, un congrès en espéranto (voir: http://www.eventoj.hu/kalendar.htm). Il y a peut-être de temps en temps un congrès qui se tient en ido, mais si c'est le cas, c'est très rare.

       Un autre moyen de comparer objectivement les deux langues, leur rayonnement respectif, serait sans doute de taper leurs noms sur un moteur de recherche et de voir combien de documents on obtient pour l'une et pour l'autre.

       Voilà ce que je peux dire en réponse à votre question sur l'ido. Comme je vous l'ai dit, je ne suis pas vraiment compétent. Je n'ai sous la main qu'un petit spécimen sur lequel je me suis basé pour les exemples ci-dessus. Et il me reste de vagues souvenirs d'une époque où j'avais pas mal lu sur les divers projets de langue internationale.

       J'espère que ces quelques indications vous paraîtront satisfaisantes. J'espère aussi ne pas vous avoir cassé les pieds avec une réponse aussi longue. Comme les sujets sont complexes, c'est difficile d'être bref sans déformer la réalité. Il va sans dire que je suis à votre disposition si vous souhaitez obtenir des précisions supplémentaires.

       Bien amicalement,
       CP

 

© Claude Piron