Espéranto : l’image et la réalité
7. L’espéranto, langue destructrice ?
"(L’espéranto] est orienté
(...) vers la suppression graduelle des traditions").(1) "Certains pensent qu’il vaudrait mieux réduire le nombre
des langues, ou, mieux encore, s’accorder sur une seule qui deviendrait
universelle. L’espéranto est la meilleure tentative connue en la matière").(2)
L’espéranto est perçu par beaucoup comme un
rouleau compresseur qui, si on le laisse démarrer, va écraser sur son passage
toutes les langues ethniques et toutes les cultures locales. Comme souvent, le
clivage est total entre les personnes qui traitent de l’espéranto a priori et
les membres de la collectivité espérantophone. En effet, la motivation la plus
fréquente de l’adhésion à l’espéranto est le désir de concilier la volonté de
communiquer par-dessus les barrières linguistiques et le respect de la langue de
chacun, en prenant le mot langue dans un sens large qui inclut les
dialectes et les patois.
Il est curieux que tant de personnes imaginent
que le but de l’espéranto est de remplacer les autres idiomes, alors qu’il n’a
jamais été proposé que comme moyen de communication entre gens de langues différentes.
Une des meilleures preuves en est l’existence, dans le monde espérantophone,
du bulletin Etnismo, consacré notamment aux
langues et dialectes menacés; cette publication n’a pas d’équivalent dans la
plupart des langues du monde. Le Manifeste de Prague (3),
adopté par le Congrès universel d'espéranto de Prague en 1996 pour préciser
les buts de l'action en faveur de l'espéranto, exprime avec force cette attitude
de respect envers les langues "faibles" qui est souvent l'une des
motivations de la décision d'adhérer à la collectivité espérantophone. Son point
6 est conçu comme suit:
DIVERSITÉ
LINGUISTIQUE
Les gouvernements nationaux
tendent à traiter la grande diversité des langues dans le monde comme un
obstacle à la communication et au progrès. Dans la communauté espérantophone, la
diversité linguistique est vécue comme une source permanente et indispensable
d'enrichissement. Par suite, chaque langue, à l'instar de toute espèce vivante,
est considérée comme porteuse de valeur et digne de protection et de
soutien. Nous affirmons que les politiques de communication et de
développement, si elles ne sont pas fondées sur le respect et le soutien de
toutes les langues, condamnent à mort la majorité des langues dans le monde.
Nous sommes un mouvement en faveur de la diversité
linguistique.
Celui qui étudie
le monde de l’espéranto est souvent surpris par un autre
fait : ce milieu est favorable au maintien des langues nationales
et des langues mortes comme branches de l’enseignement secondaire.
(4) (5) (6) Il
estime que l’idéal serait d’apprendre l’espéranto
à l’école primaire, pour que les élèves
disposent d’un moyen de communication utilisable dans le monde entier
et d’une référence facilitant la maîtrise de
la langue maternelle, puis d’enseigner au niveau secondaire telle
ou telle autre langue destinée à élargir leur
horizon culturel.
Replacé dans son contexte, l’espéranto apparaît comme un meilleur garant de
la survie des langues en danger de mort que la plupart des autres formules proposées
à cet effet. En Afrique, par exemple, les cultures locales sont certainement
plus menacées par le français et l’anglais qu’elles ne le seraient par une langue
qui n’appartient à aucun État, ne favorise aucune ethnie, n’est liée à aucun
intérêt économique et a un substrat interculturel.
suite ____________ 1.
Acconinti, Domenico. "Les Interventions" in Contri, Manlio, "Eliminer la
Tour de Babel", Bulletin européen, 1984, 7 (juil.), p. 5. 2. "Quelques mots sur le langage", Encyclopédie des techniques de
pointe, (Lausanne: Synopsis, 1984), p. 2555. 3. www.esperanto.se/dok/pragman_fr.html 4.
Leon-Smith, Graham. The role of Esperanto in the teaching of modern
languages (Londres : Esperanto Teachers Association, 1984), document
présenté au National Congress on Languages in Education. 5.
Frank, Helmar. "Valeur propédeutique de la Langue Internationale", Journée
d’étude sur l’espéranto : Actes, op. cit. (note 59), pp.
121-136. 6. Halloran, J.H. "A four-year experiment in
Esperanto as an introduction to French", British Journal of Educational
Psychology, 1952, 22. suite |